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Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) Présentation et mise en page Bruno Pisano 

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Glaciers et falaises PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Claude Beaudevin   
Jeudi, 05 Août 2010 19:15

Reconnaissons tout d'abord que nous n'employons pas ici le terme falaise dans son sens originel, stricto sensu, d'escarpement vertical plus ou moins abrupt dû à l'action érosive de la mer, mais dans un sens lato sensu, fréquemment utilisé dans certains ouvrages de géologie… et par les grimpeurs sextogradistes. Nous nous y croyons autorisés par l'analogie de leurs formations : les falaises plongeant dans la mer sont en effet créées par l'érosion littorale qui procède surtout par sape de leur base, suivie d'éboulements de pans de roche, les blocs éboulés étant évacués par les vagues.

Ainsi qu'on le verra dans les lignes qui suivent, nous pensons que les falaises dues à l'action des glaciers sont créées par l'action des eaux glaciaires qui courent à leur pied, 50 à 150 m sous la surface du glacier et qui procèdent par sape de leur base, suivie d'éboulement de pans de roche, les blocs éboulés étant emportés par le glacier. Cette analogie de formation nous a paru autoriser une analogie de terminologie que les puristes nous permettront, nous l'espérons, d'utiliser.

Regardons à présent le Crêt oriental du Vercors, qui court de la Grande Moucherolle au Grand Veymont, tous sommets situés en Isère.

Le Crêt oriental du Vercors

Si l'on porte sur un même graphique les falaises du versant est de ce Crêt et les sommets des épaulements les plus élevés, on constate que la base des falaises se situe en général entre 1700 et 1750 m d'altitude, plus rarement 1800 m. Les sommets d'épaulement, eux, se placent une centaine de mètres en dessous de la base des falaises.

Falaises du versant est du Crêt oriental du Vercors

Si l'on tient compte de l'érosion depuis le Mindel, on peut estimer qu’au pléniglaciaire de celui-ci, la surface du glacier se situait sensiblement au bas de la falaise. Ceci n'a rien d'étonnant et nous paraît résulter du mode même de l’érosion glaciaire. Nous l'avons dit, l'érosion semble atteindre son maximum dans une tranche de 50 à 150 m sous la surface, d'où la formation des épaulements à cette profondeur.

Supposons que le flanc de la vallée soit formé de terrains sensibles à l'érosion, surmontés par une couche de roche beaucoup plus résistante et dont le pendage est dirigé à l'opposé du glacier. Plaçons-nous au pléniglaciaire du Mindel.

Au fil du temps, l'érosion va s'attaquer à la pente, la faire reculer (phase 1) ...

Formation d'un épaulement sous une falaise : phase 1

... un épaulement va se former, puis progresser. La vallée va s'élargir. les roches tendres seront facilement déblayées et évacuées par le glacier (phase 2).

Formation d'un épaulement sous une falaise : phase 2

Après un certain temps, l'érosion atteindra la couche résistante ; la falaise, sapée à sa base, s'écroulera par pans et sera également emportée par le glacier, mais l'érosion progressera moins rapidement que dans les terrains plus tendres(phase 3).

Par contre, elle se poursuivra sans ralentir dans les zones où la roche dure n'est pas encore atteinte.

Formation d'un épaulement sous une falaise : phase 3

On conçoit donc que, si l'action de l'érosion glaciaire se prolonge assez longtemps, le glacier sera finalement limité par une falaise dont la partie inférieure sera légèrement noyée par la glace. Il s'ensuivra une "rectification" du tracé en plan du versant, qui, si le banc de roche dure n'est pas tronçonné en éléments dénivelés par des failles, pourra être sensiblement rectiligne.

A la décrue glaciaire, dès le début du recul des glaciers, l'érosion va s'attaquer aux pentes et, au fil des millénaires, les formes évolueront. Selon les caractéristiques du terrain, les épaulements pourront s'éroder plus ou moins ou même disparaître totalement. On notera que ce scénario impose que le pendage de la couche dure soit dirigé à l'opposé du glacier - il s'agit d'une cuesta - car, dans le cas inverse, la démonstration ne peut s'appliquer.

Par contre, peu importe que les strates de rochers, là où elles sont tranchées par la falaise, se présentent horizontales ou obliques par rapport à l'horizontale. La falaise du versant est du Crêt Oriental du Vercors, que nous étudions ci-dessus, appartient au premier cas, celle du Sommet de la Montagnette (Drôme) au second. Nous pensons donc que la forme et l'implantation actuelles du Crêt Oriental du Vercors sont essentiellement l'œuvre des glaciers.

La "règle des falaises"

Peut-on généraliser et dire que le bas des falaises était toujours légèrement noyé lors du pléniglaciaire du Mindel si le pendage de la couche dure est dirigé à l'opposé du glacier ?

C'est effectivement le cas pour toutes les falaises que nous avons rencontrées :

      • dans le Vercors : Crêt oriental du Vercors, Mont Aiguille, Sommet de la Montagnette, différents sommets de la Corniche tithonique, en particulier le Rocher du Baconnet,

      • dans les Alpes du sud : Montagne de Saint Genis, Céüse, Côte Névachaise (vallée du col de l'Échelle (Hautes-Alpes) ou encore la Pointe de la Selle (Queyras),

      • en Chartreuse : Dent de Crolles, Chamechaude, Grand Som,

      • en Suisse, dans le Valais, sur le bord du Grimselsee,

      • enfin en Savoie, dans les Aiguilles de l'Argentière, la Tête des Cos.

La falaise de la Tête des Cos (Aiguilles de l'Argentière, Savoie)

La Tête des Cos (2531 m) est le sommet le plus occidental de la chaîne des Aiguilles de l'Argentière.

Cette chaîne constitue la rive droite de la magnifique combe glaciaire de La Croix, à proximité immédiate du col du Glandon (Savoie)

L'arête ouest de la Tête des Cos qui plonge vers nous, quasiment verticale, au centre de la photo, porte un épaulement en dessous de l'altitude de 2240 m. Le contraste entre la partie supérieure de l'arête, au relief déchiqueté, car elle n'a pas connu le polissage par les glaciers et sa partie inférieure en roches moutonnées par le passage de ceux-ci est remarquable

C'es donc bien le sommet de l'épaulement qui marque le passage entre les deux types d'érosion.

La tête des Cos (Aiguilles de l'Argentière en Savoie)
 
La falaise de la tête des Cos (Aiguilles de l'Argentière)

Le sommet de l'épaulement se situe à 2240 m.

La surface du glacier - qui s'élevait quelque dizaines de mètres plus haut - cotait donc environ 2290 m. Une confirmation est apportée par la présence de stries glaciaires une dizaine de mètres au-dessus du sommet de l'épaulement, qui attestent du passage de la glace sous une faible épaisseur.

Au-dessus de l'épaulement la falaise se dresse jusqu'au sommet.

En plus de son intérêt dans l'étude des glaciers de Savoie, ce site est une confirmation remarquable de la généralités de notre « règle des falaises », car le rocher qui forme l'arête de la Tête des Cos est une roche cristalline, très différente des roches calcaires des sommets que nous citions plus haut.

Le Rocher du Baconnet et le Saint Eynard, également cités plus haut, sont constitués de calcaire tithonique et la Pointe de la Selle de calcaire jurassique de la zone briançonnaise. Si on ajoute à ces divers sommets la Côte Névachaise, où la glace atteignait la base d'aiguilles de calcaire dolomitique, on voit que, formées d'autres couches résistantes que l'Urgonien, toutes ces falaises confirment que :

 

L'implantation, en plan et en altitude, des falaises est bien l'Å“uvre des glaciers et ce

quelle que soit la nature de la couche résistante, à condition que le pendage de celle-ci soit dirigé à l'opposé du glacier.

Le Saint Eynard présente encore un autre intérêt : il montre que cette "règle des falaises" s'applique à d'autres glaciations que le Mindel, puisque le glacier impliqué est ici celui du Würm. Il nous semble donc très probable que cette "règle des falaises" peut s'appliquer à la plupart des glaciations.

Aspect de la montagne au Mindel

On peut se demander quel était l'aspect de la haute montagne au pléniglaciaire de cette glaciation. La réponse nous paraît couler de source, si l'on s'appuie sur les idées que nous avons développées dans cette page ainsi que dans celle sur la prééminence de l'érosion glaciaire.

Si vous examinez, par exemple depuis un sommet, le paysage qui vous entoure, vous y apercevez fréquemment des lignes de falaises bordant les vallées et les vallons. Noyez sous des glaces imaginaires la totalité du paysage situé en dessous de la base de ces falaises. Tous les sommets d'altitude inférieure disparaîtront alors sous ces glaces et vous verrez surgir sous vos yeux un paysage très voisin de celui du maximum glaciaire du Mindel.

Bien entendu, cela ne permet pas de connaître la valeur absolue de l'altitude de surface des glaciers à cette époque, mais seulement leur position par rapport au paysage, celle qui compte pour la lecture de celui-ci. Voir à ce sujet la page sur l'influence de la tectonique et de l'isostasie.

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Mise à jour le Dimanche, 27 Septembre 2015 06:20