Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) | Présentation et mise en page Bruno Pisano |
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La vallée de la Roizonne - Massif du Tabor |
Écrit par Claude Beaudevin | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Samedi, 24 Mars 2012 21:28 | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Le cadre
Une précision tout d'abord : le Tabor n'est pas le Thabor, pas plus que la Mathésine n'est la Maurienne. Plaçons-nous à la glaciation du Mindel et cherchons à déterminer l'altitude des glaciers à son pléniglaciaire. Nous verrons que cette étude permet, au passage, d'expliquer une forme de relief assez curieuse, les ravins des cols de Chaurousse, ainsi que le remarquable versant d'érosion de la face nord du Grand Serre. Trois rivières importantes enserrent cet écrin de montagnes : à l'ouest, le Drac, au nord la Romanche, enfin à l'est la Malsanne, descendue du col d'Ornon, Pendant cette glaciation maximum, plusieurs glaciers confluaient dans cette petite région :
La situation était de ce fait assez complexe dans cette vallée close de la Roizonne.
Pour déterminer l'altitude atteinte au pléniglaciaire de la glaciation maximum, nous avons appliqué la méthode des sites témoins. Ceux-ci sont peu nombreux dans les vallées parcourues par les glaciers les plus importants (Romanche, Malsanne) du fait de la présence des glaciers locaux de versants qui, sur bon nombre d'arêtes, ont oblitéré leurs sites témoins. Il en reste cependant suffisamment, pensons-nous, pour pouvoir déterminer l'altitude de surface des glaciers. Le tableau suivant indique les sites témoins que nous avons sélectionnés par une application particulièrement stricte de la méthode.
On constate qu'à sa confluence avec le glacier du Val d'Ornon, celui de la Malsanne, particuliérement important car drainant la face ouest du Rochail, atteignait une altitude de l'ordre de 2000 m. Ces 2 glaciers réunis trouvaient à leur droite, avant de descendre la basse vallée de la Malsanne, l'échancrure de Plancol (1872 m), qui leur fournissait une porte d'entrée dans l'enclos de la Roizonne, où ils recevaient l'apport des glaciers locaux énumérés ci-dessus. Celui qui provenait des pentes de Grand Serre pose une question intéressante, à laquelle nous allons tenter d'apporter une réponse :le Grand Serre était-il à cette époque un môle ou une calotte glaciaire locale ? Le Grand Serre : môle ou calotte glaciaire ?
Rappelons tout d'abord que nous avons employé le terme de môle pour caractériser des sommets qui, lors de la glaciation qui leur a donné naissance, culminaient sensiblement au niveau du glacier. On peut penser que certains d'entre eux se présentaient alors sous une forme assez proche de leur état actuel, c'est-à -dire en rocher enneigé. Mais d'autres, couverts de glace, étaient donc des calottes glaciaires locales, qui s'apparentaient à nos actuels Petit Combin, Dôme de la Sache, etc. Il n'est, certes, pas toujours possible de se prononcer de nos jours sur la présence ou l'absence de glace sur un môle, au pléniglaciaire de la glaciation maximum. La taille ainsi que la forme du sommet mais aussi son élévation au-dessus des reliefs environnants jouaient un rôle important. La présence actuelle de reliefs typiquement glaciaires à proximité de ce sommet constitue également un facteur déterminant dans cette détermination. Dans le cas du Grand Serre, le versant sud-est, en pente douce, dominant d'une centaine de mètres les reliefs environnants, était susceptible de porter une calotte déjà importante, dont les glaces rejoignaient celle du glacier de la Roizonne. Mais le versant opposé, beaucoup plus abrupt, représenté sur les 2 photos ci-dessus, était parcouru par une chute de séracs que nous estimons créatrices du versant d'érosion situé sous le sommet. Ce versant d'érosion a pu ensuite traverser les millénaires, car il était conservé, sous forme de pergélisol, lors des périodes froides qui ont suivi la glaciation maximum. Pendant les rares périodes tempérées similaires à celle que nous connaissons actuellement, l'érosion pouvait reprendre, par les eaux météoriques ainsi que par l'érosion régressive, mais sans modifier sensiblement l'aspect du versant d'érosion. Nous avons appelé les versants d'érosion de ce type versants d'érosion de franchissement. Le mont Sanford (près de 5000 m), en Alaska (coordonnées : 62°12'50.00"N, 144° 7'44.00"O), nous fournit un bon exemple de ce qui pouvait se passer au Grand Serre lors de la glaciation maximum. On remarquera en particulier le versant d'érosion créé par la chute de séracs, la ressemblance avec le versant d'érosion du Grand Serre n'étant pas dû au hasard... Image GoogleEarth
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Le glacier de la MalsanneAu sud de Plancol, l'arête qui court du Grand Armet au Coiro ne présente aucun abaissement inférieur à 2497 m, susceptible de laisser passage à la glace vers l'intérieur de l'enclos de la vallée de la Roizonne. Il en résulte que l'étendue de glace à la cote approximative de 2000 m se prolongeait dans la vallée de la Malsanne, jusqu'aux environs d'Entraigues. Le glacier de la Malsanne, par un rapide tournant à droite, terminait alors sa course en rejoignant celui du Drac, vers 1870 m d'altitude, aprés avoir rencontré celui de la Roizonne. Cette nappe de glace était, bien entendu, parcourue par des courants. Dans la région qui nous intéresse, quelle était la provenance de chacun d'eux ?
On sait que nous attribuons la formation des versants d'érosion d'origine glaciaire sur l'une des rives d'un glacier au fait que, dans certains cas, les eaux glaciaires latérales qui coulent contre cette rive sont rejointes par celle de l'autre rive. C'est le cas, en particulier, lorsque un glacier affluent rejoint le glacier de vallée ; ses eaux glaciaires de surface - qui coulent une centaine de mètres sous celle-ci - traversent le glacier de vallée et rejoignent celles qui coulaient sur le versant opposé. Elles en majorent le débit. Un autre cas se présente lorsque le glacier de vallée décrit un coude brutal. Un versant d'érosion prend alors naissance, dont le sommet s'élève à quelques dizaines de mètres sous la surface du glacier.
Un curieux relief : les ravins de la mouche (col de Chaurousse)Voici le versant ouest du col ou plutôt des cols jumeaux de Chaurousse (2164 m), qui s'ouvrent dans l'arête Tabor - Piquet de Nantes.
Cette forme élégante surprend ; nous allons tenter, sur la base des éléments qui précèdent, d'expliquer sa formation. Tout d'abord, on conviendra qu'il ne peut s'agir de ravins d'origine torrentielle, comparables à celui que l'on voit à leur droite sur la photo : l'examen du ravin de gauche sur la photo, tant sur la carte IGN au 1/25000 que lors d'une reconnaissance sur place, dévoile une section plus proche d'un U glaciaire que d'un V torrentiel. Et puis on remarquera l'absence d'entonnoir d'alimentation à la partie supérieure des ravins, située sur l'arête faitiaire. Une origine glaciaire nous donc semble une réponse valable. Nous venons de voir que, derrière la crête Tabor - Piquer de Nantes , c'est-à -dire versant Roizonne, l'altitude du glacier était de l'ordre de 2000 m dans l'axe de la vallée ; les glaciers affluents atteignaient bien entendu des altitudes plus importantes,tel celui de la face est du Tabor qui nous a laissé son empreinte sous forme d'un épaulement RZ8 dont le sommet cote 2235 m. Le glacier de la face est du Tabor s'élevait ici à 2280 m. Un peu plus loin vers le sud, se présente, sur l'arête sud du Piquet de Nantes, le site RZ11 qui nous indique une altitude du glacier de 2050 m. On conçoit donc que l'épaisseur de glace sur les cols de Chaurousse était suffisante pour qu'il s'y produise une diffluence, génératrice des deux vallons. Le versant est de ce chaînon Tabor- Piquet de Nantes surplombe la Mathésine. Nous sommes ici dans le Bassin du Drac et le glacier qui l'occupait s'élevait à 1800 m environ. Le bas des vallons se situe à 1633 m, donc quelques 200 m plus bas que la surface du glacier dracquois. Les vallons se sont formés au pléniglaciaire de la glaciation maximum, c'est à dire au Mindel. Or la diffluence qui les alimentait à partir de la vallée de la Roizonne a cessé dès le début du cataglaciaire qui, en conséquence, a sonné la fin du creusement des vallons. Ceux-ci se sont donc formés en totalité au pléniglaciaire, c'est-à -dire que leurs parties inférieures, en dessous de 1800 m, ont été creusées sous la surface du glacier du Drac par la glace des vallons en se glissant entre ce glacier et la paroi de rochers. Nous avons déjà , ailleurs dans ce site, attiré l'attention sur ce point : lorsqu'un glacier affluent rejoint l'appareil de vallée, la totalité de ses glaces ne s'étale pas à la surface du glacier de vallée, mais plonge entre celui-ci et la paroi. La séparation entre les deux flux de glace, marquée en surface par une moraine médiane, doit donc se prolonger en profondeur. Existe-t-il ailleurs d'autres vallons de forme semblable ?Nous avons rencontré récemment un ensemble de deux vallons dont la forme s'apparente à celle des vallons de Chaurousse.
Ce n'est pas le cas, comme le montrent leurs sections en V torrentiel. Aucun glacier ne s'est d'ailleurs élevé assez haut pour franchir les crêtes du Vercors. Par contre, chaque vallon est dominé par un entonnoir de réception. Malgré la similitude des formes, ils ne s'apparentent donc pas aux vallons de la Mouche. |
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Mise à jour le Dimanche, 11 Août 2019 10:35 |