Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) | Présentation et mise en page Bruno Pisano |
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Les anciens glaciers de la vallée du Paillon (Alpes-Maritimes) |
Écrit par Claude Beaudevin | |||||||||||||||||||||||
Vendredi, 07 Octobre 2011 16:55 | |||||||||||||||||||||||
Le Paillon est cette petite rivière - ou plutôt fleuve, puisqu'il rejoint directement la mer - qui traverse la ville de Nice. Il prend naissance à peu de distance au nord de Luceram (Alpes-Maritimes), avant son parcours d'une vingtaine de kilomètres jusqu'à la mer. Nous nous intéresserons ici à son bassin d'alimentation, que nous appellerons bassin luceramois, bien que, ainsi que le montre la carte qui suit, il se compose de deux bassins, celui du Paillon proprement dit et celui du Cuous. Voici tout d'abord une esquisse de ces deux bassins et des arêtes qui limitent le bassin luceramois : Dans la partie au nord de Luceram, entre le village et la cime de Peïra Cava, le bassin luceramois a sa pente générale dirigée vers le sud. Il est limité sur trois côtés par des rebords dont l'altitude varie de 990 m à 1581 m. Du point de vue géologie, nous sommes ici dans l'arc de Nice et plus précisément dans le synclinal de Peïra Cava. Les roches y sont variées :
Dans les limites de nos cartes, le bassin d'alimentation du Paillon proprement dit n'occupe qu'une faible partie de ce bassin luceramois, la majeure partie étant constituée par celui du Cuous. En effet, le Paillon ne prend pas sa source sur les flancs de la Cime de Peïra Cava, mais nettement plus au sud, à quelques kilomètres seulement au nord de Luceram. Le Cuous ne rejoint pas le Paillon mais s'échappe au travers du rebord est pour gagner la Bévéra. Il utilise pour cela le vallon de Guyou, percé à travers une muraille qui le domine de plus de 500 m. Pourquoi et comment le petit Cuous a-t-il pu effectuer une telle percée ? Nous proposerons plus loin une explication.
L'examen détaillé de la carte au 1/25 000e du bassin luceramois montre qu'il présente de nombreux épaulements, signe selon nous, d'une forte probabilité d'existence d'anciens glaciers.
Plaçons-nous au pléniglaciaire de la glaciation maximumEn altitude, des névés d'altitude et des glaciers de pente occupent l'amphithéâtre de vallons qui, sous le rebord nord du bassin luceramois, s'étend de la Cime de Peïra Cava à la Baisse de Beccas. Un peu plus bas, ces appareils se réunissaient pour donner naissance au glacier de vallée proprement dit. Si, donc, de tels glaciers ont existé pendant la glaciation maximum, ils ont dû laisser des traces de leur passage. Appliquons donc la méthode exposée à la page sur la détermination de l'altitude de surface d'un glacier de vallée. Sur chacune des arêtes perpendiculaires aux cours d'eau (Cuous, Paillon) qui portent un ou plusieurs épaulements, sélectionnons le sommet du plus élevé. Ces sommets d'épaulements constituent nos principaux « sites témoins ». Ils sont confortés par la présence de ravines et de versants d'érosion, dont on sait que nous les considérons également comme témoins du passage des glaciers.
Nous avons reporté sur les cartes suivantes les sites témoins, définis par leurs altitudes et leurs repères que l'on retrouvera sur le tableau. Nous avons également indiqué, en rouge, les sites témoins des deux vallées de la Bévéra et de la Vésubie les plus proches du bassin lucéramois. Il en existe d'autres, non représentés sur cette carte du fait de leur éloignement plus grand.
On constate que, de part et d'autre du bassin lucéramois, les altitudes de surface des glaciers de la Vésubie et de la Bévéra sont assez proches l'une de l'autre. Or ces deux glaciers présentaient des caractéristiques très différentes : celui de la Vésubie, long de 28 km, était issu de sommets atteignant 2500 m à 3000 m, alors que celui de la Bévéra avait parcouru 7 km seulement depuis sa naissance vers 2000 m. Le fait donc que ces deux glaciers la Bévéra et de la Vésubie présentaient des altitudes de surface voisines incline à penser qu'ils confluaient quelque part dans cette région. On sait en effet qu'à la confluence de deux glaciers leurs surfaces sont au même niveau.Or une telle confluence ne pouvait se produire au nord du bassin lucéramois, car, au nord de la Cime de Peïra Cava (en dehors de la zone représentée sur nos cartes) s'étire une arête d'altitude toujours supérieure à 1600 m, trop élevée pour permettre un échange de glace entre Vésubie et Bévéra (tout juste peut être un écoulement d'eaux glaciaires de surface par la Baisse de Peïra Cava (1508 m), le gouffre de Malpertus (1572 m) et le col de Turini (1607 m)). Au sud de Lucéram, les deux vallées sont distantes d'une vingtaine de kilomètres, avec de nombreux sommets d'altitude supérieure à 1000 m. Ici non plus, il ne leur était donc pas possible d'établir une confluence. Or la muraille qui ceinture le bassin lucéramois présente trois points faibles, trois échancrures :
Les altitudes des sites témoins, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du bassin lucéramois, permettent de tracer une esquisse de la surface du glacier de vallée du bassin lucéramois (on rappelle que la surface d'un glacier se situe approximativement 50 m au-dessus des sites témoins). Les cotes figurant en rouge sont des valeurs approchées de l'altitude de cette surface.
On peut voir sur la carte qu'à chacune de ces échancrures, les altitudes des sites témoins à l'intérieur et à l'extérieur du bassin lucéramois sont voisines. C'est donc ici que, selon nous, se situait la confluence des deux glaciers de la Vésubie et de la Bévéra, par l'intermédiaire du petit glacier local du Cuous. Dans quel sens circulaient les glaces dans ces trois échancrures ? Suivons tout d'abord le glacier de la Bévéra. Entre l'altitude de 1360 m environ à la Baisse de Beccas et l'échancrure Pas de la Capelette - Vallon de Guiou, les dimensions de la vallée de la Bévéra fournissaient un chemin plus aisé aux glaces que l'intérieur du bassin luceramois. La pente de la surface était donc plus faible côté Bévéra que côté Cuous (on pourra se reporter ici à la page altitude des glaciers, tracé théorique). Il en résultait donc que, parvenu à l'échancrure Pas de la Capelette - Vallon de Guiou, c'était les glaces de la Bévéra, plus élevées que celles du Cuous, qui pénétraient à l'intérieur du bassin lucéramois. Les choses sont moins simples pour l'échancrure ouest, le col Saint-Roch. Le relief est plus compliqué. Heureusement, nous disposons ici de deux sites témoins, le versant d'érosion du Tournet et les ravines qui lui font face. Ces sites indiquent que le flot de glace qui les a creusés venait du Nord... C'était donc les glaces de la Bévéra qui l'emportaient ici sur celle de la Vésubie. Mais la complexité du relief nous laisse à penser que, selon les stades de la glaciation et par suite des inerties différentes des glaciers, il est possible que ce sens de circulation se soit parfois inversé.
Nous pensons que c'est cet écoulement de glace au pléniglaciaire de la glaciation maximum qui est responsable de l'évasion des eaux du Cuous hors du bassin lucéramois.
Cette disposition - glacier occupant la totalité d'une vallée et alimenté en partie par des points bas sur sa périphérie - n'est pas unique. C'est le cas de la vallée de la Roizonne (Isère) et, peut-être, de la montagne de Saint Genis, de la montagne d'Aujour (Hautes-Alpes). On retrouve ici une succession d'événements quelque peu analogues à ceux qui, cette fois lors des deux dernières glaciations, se sont déroulés dans la vallée du Drac : pendant le Riss, le glacier de la Durance envoyait une diffluence importante au-dessus du col Bayard, alors qu'il ne le faisait que plus faiblement au cours du Würm. Le bassin du Drac, qui voyait passer un glacier important au Riss, était donc pratiquement vide de glace pendant le Würm. La résultante de ces actions différentes est bien connue (voir à ce sujet la page sur l'altitude des glaciers dans le bassin du Drac). Au sud de LucéramDifférences entre reliefs englacés et non englacésL'épaisseur de glace à Lucéram, de l'ordre de quelques centaines de mètres, montre que les glaciers s'arrêtaient peu après ce village. A l'exception de quelques sommets assez élevés pour avoir pu abriter de petits glaciers locaux lors de la glaciation maximum, telle la Cime de Baudon (1266 m) sur Peille, la région au sud de Lucéram a donc toujours été vierge de toute présence de glace. Ceci nous permet de la considérer comme un terrain d'étude privilégié pour la géomorphologie non glaciaire. Nous examinerons en particulier le cas des épaulements, ceux-ci constituant une des formes témoins les plus répandues créées par les glaciers anciens. L'examen des cartes de la région qui s'étend au sud de Lucéram, montre un certain nombre d'épaulements. Cette forme de relief n'est donc pas réservée aux massifs qui furent englacés. Mais des différences essentielles existent entre les deux types de massifs.
En pratique, pour définir l'altitude des anciens glaciers de vallée, l'utilisation de la méthode de détermination de la surface d'un glacier de vallée évitera d'avoir à se poser de problème :
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Mise à jour le Vendredi, 26 Avril 2013 11:32 |