Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) | Présentation et mise en page Bruno Pisano |
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La diffluence de Merdaret (Isère) |
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Écrit par Claude Beaudevin | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Jeudi, 06 Mai 2010 11:56 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
L'examen de cette diffluence nous a permis de faire progresser quelque peu, pensons-nous, l'étude de la question importante suivante : « en dessous de quelle altitude apparaissaient, au maximum ou peu après le maximum du Würm, une quantité d'eaux glaciaires suffisante pour imprimer sa marque dans les paysages de nos montagne ? ». Les lecteurs pressés par le temps pourront se transporter sans plus tarder à la conclusion qui figure à la fin de cette page mais, pour les autres, présentons pour commencer le théâtre de cette diffluence de Merdaret.
Sites caractéristiques proches du col de Merdaret (Extrait des tableaux des sites des affluents de l'Isère (repérés IA))
Signalons que les sites IA16 et IA18 sont portés par l'arête qui sépare la vallée de l'Isère de celle du Bréda ; ils ne sont donc pas caractéristiques de ces vallées elles-mêmes, mais de la diffluence qui franchissait le col de Merdaret.
A ces sites caractéristiques classiques, il convient d'ajouter d'autres formes de relief assez inhabituelles et qui seront illustrées plus loin par des photos : nous parlons des broues (banquettes doucement inclinées), mais surtout des ravines qui entaillent le versant ouest du col. Ces ravines se révèlent particulièrement intéressantes, car, ainsi que nous le verrons plus loin, leur étude permet de répondre à une question d'intérêt général : « en dessous de quelle altitude les glaciers würmiens étaient-ils soumis à la fusion ? ». Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur à la page consacrée à ces ravines. Quelles étaient les altitudes de surface des glaciers würmien et rissien dans le Grésivaudan ?Si nous cherchons à déterminer celle de l'appareil würmien de l'Isère par le travers du col de Merdaret - qui se situe à 63 km du vallum terminal würmien en suivant le thalweg de l'Isère - le calcul, parfaitement applicable ici vu la grande largeur des vallées - fournit une valeur de 1322 m environ (vérification possible ici). A des altitudes de cet ordre, aucune forme imputable aux actions glaciaires n'est visible dans le paysage. Les sites caractéristiques figurant sur le tableau se trouvent 500 m plus haut ! Au Riss, le glacier de l'Isère, à 79 km de son vallum terminal, qui se situait 16 km en aval de son homologue würmien, s'élevait ici à 1510 m soit 190 m plus haut que celui-ci (on pourra le vérifier ici). Mais on est encore loin des altitudes des sites du Merdaret, toutes supérieures à 1700 m ! Les formes de relief glaciaire dans le voisinage du col (voir tableau précédent) ne peuvent donc être imputées à l'action des glaciers würmien ou rissien de l'Isère. Leur existence s'explique toutefois très facilement si l'on fait intervenir une diffluence du glacier du Haut-Bréda par-dessus l'arête du Grand Rocher qui le séparait du Grésivaudan. Le niveau des glaces versant Bréda était en effet très supérieur à celui atteint dans la vallée de l'Isère. Pour le voir, plaçons-nous au Würm, puisque la carte géologique au 1/50 000e Doméne donne pour würmiens les dépôts glaciaires de cette zone. La distance du col de Merdaret au vallum terminal würmien du glacier de l'Isère en suivant le Grésivaudan est, nous l'avons dit, de 63 km, alors qu'elle est de 91 km en empruntant le versant Bréda, compte tenu du long détour que le glacier effectuait par Allevard. A cette distance de son vallum terminal, le calcul indique que le glacier würmien du Bréda se serait élevé ici à 1550 m si la formule était applicable dans la vallée du Bréda. Mais ce n'est pas le cas, du fait de sa faible largeur, bien inférieure à la valeur de 4 km au-delà duquel la formule est utilisable. De plus, on est ici aux limites de la haute montagne, déjà dans le domaine des glaciers de cirque, en l'occurrence celui du Pleynet et ces glaciers présentent toujours, on le sait, une pente beaucoup plus accusée que les grands appareils de vallée. Quelle pouvait donc être l'altitude de surface du glacier würmien à cet endroit ? C'est l'examen du relief et des dépôts environnants qui va nous fournir la réponse. Le sommet d'épaulement IA16, à 1910 m indique une altitude de glacier de 1960 m. En confirmation, les dépôts glaciaires les plus élevés de l'arête nord-est de la Montagne des Fanges (IA18) cotent 1970 m. L'homogénéité de ces résultats est remarquable. Mais sont-ils bien dus au glacier würmien ? Certes, les dépôts sont attribués au Würm par la carte géologique. Mais alors où sont les traces du passage du Riss, qui se situait plus haut encore ? Le sommet d'épaulement IA15, à 1820 m, bien formé, indique que le glacier du Bréda a stationné ici à une altitude voisine de 1870 m. N'est-ce pas pendant le Würm, le Riss se tenant vers 1970 m, 100 m plus haut ? Dans cette hypothèse, le glacier würmien aurait surpassé le col d'une cinquantaine de mètres seulement. Quoiqu'il en soit, il est certain qu'aux pléniglaciaires du Riss et du Würm, le glacier du Haut Bréda envoyait, en direction du Grésivaudan, par le col de Merdaret, une diffluence culminant au maximum à 1970 m environ au Riss et donc épaisse alors de 170 m sur le col.
Le verrou rocheux est couvert de roches moutonnées...
Enfin, une moraine parfaitement rectiligne (repérée IA20) s'étend, dans le dos du photographe, sur le flanc nord du Rocher de Monteynard. Horizontale et longue de 200 m, elle cote 1730 m. L'altitude de la broue la plus élevée ainsi que la présence des roches moutonnées sur le verrou montrent qu'au pléniglaciaire, le glacier diffluent dominait d'une cinquantaine de mètres au moins la crête du verrou. Ce glacier descendait plus bas encore dans la vallée mais les éventuels dépôts qu'il a pu y laisser n'ont pu subsister sur des pentes aussi importantes et ont été emportés par l'érosion. L'ensemble constitué par la broue la plus élevée et la moraine rectiligne à 1730 m dessine bien le tracé de la langue de la diffluence, qui, au maximum du Würm, franchissait le verrou rocheux. Un autre élément du paysage va nous permette de préciser ce point, en même temps qu'il va nous nous apporter un précieux renseignement : il s'agit de petits vallons secs, très caractéristiques, que nous appelons ravines de diffluence et qui descendent sur le versant ouest du col, coté Grésivaudan. Un détour par la page sur les ravines de diffluence permettra de préciser le sens de ce terme.
Les trois ravines les plus septentrionales de la série sont repérées 1 à 3 sur la photo et la carte ci-dessous. Elles prennent naissance à 1800 m d'altitude, au bord d'un "replat inférieur", ancien lac comblé.
La formation de ces ravines nous paraît donc imputable à l'action des eaux de fonte de la langue terminale de la diffluence. Les eaux glaciaires du glacier du Haut Bréda, qui circulaient 100 à 150 m sous sa surface et qui empruntaient le col ont pu également jouer un rôle important. Mais d'autre ravines strient la pente un peu plus au sud, en particulier celle repérée 4 sur la photo.
Il nous semble alors possible d'envisager le film des événements suivant :
Ce schéma a été établi en supposant que c'est le glacier würmien qui atteignait 1970 m sur le col, mais on vérifiera facilement qu'il reste valable dans ses grandes lignes si on attribue cette altitude au Riss, la ravine 4 datant alors de cette époque.
Cette région du col de Merdaret présente encore un autre intérêt. Car, sur ce même versant ouest du col, existent en effet quatre autres épaulements, à des altitudes très supérieures à celle du glacier rissien du Grésivaudan. Les voici :
Ces quatre sites témoins sont trop élevés pour pouvoir être rattachés au Riss de l'Isère.
ConclusionLa conclusion la plus intéressante de cette page réside dans le fait que les ravines du col de Merdaret prennent naissance vers 1800 à 1880 m, prouvant ainsi que la fusion du glacier était déjà alors intense à cette altitude, donc qu'elle débutait plus haut. Que le lecteur ne s'étonne pas de ce résultat ! En d'autres endroits des Alpes, nous avons identifié des formes attribuables à l'action des eaux glaciaires à des altitudes bien supérieures, de l'ordre de 2800 m. Pour plus de détails, on se reportera à la page sur le rôle des eaux glaciaires dans la formation des vallées ainsi qu'aux pages sur le Pas d'Anna Falque et les ravines glaciaires marginales. |
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Mise à jour le Jeudi, 21 Mars 2013 19:14 |