Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) | Présentation et mise en page Bruno Pisano |
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Les délaissés morainiques |
Écrit par Claude Beaudevin | ||
Samedi, 17 Novembre 2018 12:46 | ||
Débutons cette page par une courte visite au Serre Chauvière, sommet situé rive gauche de la rivière Drôme au-dessus de Montmaur en Diois. Visite au Serre ChauvièreLa carte Géoportail ci-dessous, à l'échelle du 1/8528, montre le plateau sommital du Serre Chauvière, un sommet de la rive gauche de la Drôme au-dessus de Montmaur en Diois. On y remarque la présence de zones portant des petits disques verts presque jointifs, dont la signification est, selon la légende de la carte, « graviers et galets », ainsi que quelques clapiers.. Les zones à graviers et galets sur le plateau sommital du Serre-Chauvière (Drôme)
La vue aérienne Géoportail au 1/1066 de ce plateau montre que son sol présente une couverture végétale rase, de petits arbres dispersés et qu'il est parsemé d'éléments rocheux de toutes dimensions ainsi que d'amas de pierres, les clapiers. Vue géoportail
La seule explication possible à la présence de ces blocs et clapiers, dont la composition minéralogique diffère de celle du terrain environnant, est qu'ils ont été apportés à cet endroit à la surface d'un glacier aujourd'hui disparu. La présence d'amas de blocs entourés d'arbres confirme d'ailleurs une origine glaciaire, ainsi que nous l'avons montré dans notre page sur les clapiers. Nous appellerons donc ce genre de terrain un « délaissé morainique », par comparaison avec les délaissés glaciaires, terme qui s'applique, lui, aux surfaces de terrain apparaissant à l'air libre lors du recul du glacier lors du cataglaciaire. Un délaissé morainique peut présenter différents aspects, ainsi que nous le verrons à la fin de cette page. De même, dans la suite de celle-ci, nous montrerons que ces délaissés morainiques sont, selon nous, les restes de moraines de glaciers aujourd'hui disparus. La photo qui suit montre que le sol du plateau sommital du Serre Chauvière est parsemé de nombreuses pierres et qu'il porte une végétation rabougrie. Voici également deux des clapiers entourés d'arbres visibles sur la carte Géoportail du Serre Chauvière qui figure au début de cette page. Ces deux clapiers constituent une confirmation du passage d'un glacier à cet endroit car, situés à trop grande distances l'un de l'autre pour être des clapiers paysans, ce sont donc des clapiers d'origine glaciaire, dus à l'action de la gélifraction sur des blocs erratiques. Mais surtout, la présence, dans certains de ces clapiers, de roches de calcaire urgonien, dont l'affleurement le plus proche se situe sur la rive droite du Bèz, affluent de la rive droite de la Drôme en face du Serre Chauvière, montre qu'il s'agit de roches tombées de la Montagne de Glandasse sur le glacier du Bèz, puis transportées par les glaciers jusqu'au Serre Chauvière avant d'être débitées en blocs plus petits par la gélifraction. Concernant la conservation de ces clapiers jusqu'à nos jours, on lira notre page sur l'érosion karstique et les clapiers. Un raisonnement analogue peut-il s'appliquer dans d'autres secteurs des Alpes du Sud et des Alpes Dauphinoises ?Nous avons recherché s'il existait de tels terrains de « graviers ou galets » sur les cartes IGN d'autres secteurs des Alpes du Sud et Dauphinoises et nous en avons trouvé un très grand nombre. Comment peut-on être certain que, dans ces autres secteurs des Alpes, les zones à petits disques verts représentent également des « délaissés morainiques » ? Dans tous les cas, l'examen des vues aériennes Géoportail au 1/1066, ainsi que nos observations sur le terrain, nous ont montré que ces terrains portent effectivement de nombreux blocs et qu'ils sont couverts d'une maigre végétation. Dans certains cas, on peut même distinguer parfois sur les vues aériennes des clapiers, dont certains, entourés d'arbres, constituent des indicateurs fiables du passage d'un ancien glacier. Or, en général, une grande partie des blocs transportés par un glacier de vallée se situe sur le terrain naturel au niveau de la surface glaciaire, où ils forment les moraines latérales fixes. Au cours d'une glaciation, l'altitude de la surface glaciaire varie sans cesse en fonction des données climatiques. Lorsque elle augmente, la moraine latérale fixe est détruite et se reconstitue ultérieurement, mais toujours quelques mètres au-dessus de la surface du glacier. Compte tenu des lignes qui précèdent, nous considérons donc que les zones à petits disques verts sont des « délaissés morainiques » qui révèlent la présence d'un ancien glacier et dont la partie supérieure se situe quelques mètres plus haut que l'altitude maximum atteinte par la surface du glacier au cours de la glaciation. Par exemple, sur le Serre Chauvière, où les terrains de graviers ou galets culminent à 1236 m d'altitude (en W3W usager.touiller.varier), le glacier s'élevait à cette altitude lors du pléniglaciaire, soit 26 m sous le sommet du Serre. Celui-ci n'était donc pas recouvert par la glace, ce que l'on peut constater sur place à l'aspect de la végétation. Bien entendu, si la pente du versant d'auge était trop importante en dessous de la moraine latérale fixe, aucun bloc n'a pu demeurer en place après disparition du glacier. Tous ont, au fil du temps, glissé sur la pente, et dans ce cas il n'existe pas de délaissé morainique. Il est facile de voir, grâce aux profils altimétriques de Géoportail, que cette pente limite est voisine de 45°, conforme à celle observée de nos jours. L'arsenal des méthodes qui nous permettent de déterminer l'altitude des surfaces glaciaires s'est donc enrichi d'un nouvel outil , la « méthode des délaissés morainiques », qui présente une meilleure précision que celles obtenues par nos méthodes précédentes et qui conforte et précise les résultats obtenus par celles-ci. La carte qui suit montre l'application de cette méthode des délaissés morainiques au glacier du Paillon. Les chiffres qui y figurent sont les cotes d'altitude de surface du glacier qui, lors de la Glaciation Maximum, recouvrait les Alpes-Maritimes. Leur nombre pourrait facilement être augmenté, vu le grand nombre de délaissés morainiques présents dans cette zone. Altitudes des délaissés morainiques dans la vallée du Paillon (Alpes Maritimes)
Utilisation pratique de la méthode des délaissés morainiquesPrécisons que les zones de graviers et galets ne sont visibles que sur les cartes Géoportail au 1/8528 ou au 1/17055, ainsi que sur certaines cartes imprimées récentes au 1/25000, mais pas sur les cartes plus anciennes. La méthode est alors la suivante :
S'agissant de la partie supérieure de cette zone à petits disques verts, cette adresse et l'altitude seront celles du glacier à son maximum d'altitude atteint au cours du pléniglaciaire de la Glaciation Maximum Si ces zones sont bien les résidus d'une moraine tels qu'ils se présentent un certain nombre de millénaires après la disparition du glacier, quelques précautions sont cependant à prendre pour en déduire l'altitude de surface de ce glacier lors du pléniglaciaire. Par exemple :
C'est le cas, par exemple, du cône de déjection de torrent près de Bénétant (Savoie), visible sur la carte IGN suivante. Ce terrain, souligné de tirets verts, y est représenté comme formé de graviers et de galets, et son aspect pourrait effectivement faire penser à un délaissé morainique... Carte Geoportail du torrent de Bénétant (Savoie)
... alors qu'il s'agit d'un classique cône de déjection de torrent, souligné par les mêmes tirets verts que sur la carte précédente. Attention : pour une meilleure visualisation du cône de déjection, le nord est inversé de 180° par rapport à la représentation de la carte IGN précédente. Image sensible au passage de la souris
Cône de déjection du torrent de Bénétant (Savoie)
Certains délaissés morainiques, identifiables sur le terrain avec une certaine pratique, ne sont parfois pas représentés sur les cartes Géoportail, sans doute par suite de leurs dimensions trop petites. Voici, par exemple, sur la photo suivante, le délaissé morainique situé au Sommet de Plénouze (W3W désirant.évaporer.éventer), au-dessus d'Autrans (Isère) : Délaissé morainique au Sommet de Plénouze, au-dessus d'Autrans (Isère)
Ce délaissé morainique, situé sensiblement à l'altitude du Sommet de Plénouze (1648 m), s'étire sur une longueur de plus d'une centaine de mètres, et une largeur d'une trentaine de mètres, la photo étant prise depuis sa partie inférieure. Il en est de même pour ce « sol à pierres éparses » situé près du col du Grand Échaillon (Isère), tout à fait caractéristique d'un délaissé morainique et cependant non représenté comme tel sur les cartes IGN. « Sol à pierres éparses » près du col du Grand Échaillon (Isère)
Que faire en cas de doute ? Il suffira, en général, de consulter les vues aériennes Géoportail au 1/1066. En voici un exemple, dans les environs du Senépy, près de La Mure (Isère). La photo ci-dessous a été prise depuis la piste qui mène au petit hameau des Merlins (Isère). Environs du Senépy, près de La Mure (Isère)
Un œil un peu exercé remarque que la butte de terrain dégagée qui apparaît derrière l'échancrure d'arbres peu vigoureux est sans doute un délaissé morainique, bien que non figuré comme graviers ou galets sur la carte Géoportail au 1/8528. La vue aérienne Géoportail au 1/1066 , prise à la verticale, confirme pourtant qu'il s'agit bien d'un délaissé morainique. Elle montre une surface d'environ 15 000 m², centrée en W3W somnolons.rélargir.bicolore, que l'on peut décrire comme suit :
On voit donc qu'il est possible, en se rendant sur place ou en utilisant les vues aériennes Géoportail au 1/1066, de découvrir des délaissés morainiques non représentés par les cartes Géoportail au 1/8050, La pertinence de notre « méthode des délaissés morainiques » est encore renforcée lorsque elle fournit des résultats concordants avec ceux d'une autre méthode. Nous n'en donnerons qu'un seul exemple, situé également sur les flancs du Senépy, où le résultat obtenu en utilisant l'altitude du sommet d'un montrond tout proche, le Devès confirme celui obtenu par la « méthode des délaissés morainiques ». Sur ce sommet, une surface horizontale de quelques 1500 m², à l'altitude de 1335 m en W3W accuser.indigner.filière, se situe au-dessus de La Mure (Isère). Environ du Sénépy près de La Mure (Isère)
La méthode des délaissés morainiques ne peut être appliquée au sommet du Devés (souligné en rouge), car il n'en existe pas à cet endroit. Mais on peut l'employer au sommet de la bosse d'altitude 1394 m (elle aussi soulignée en rouge) située 580 m à l'ouest du Devès, en w3w empeser.coûtant.orque, qui figure sur la carte ci-dessus. Il s'agit bien d'un délaissé morainique, ainsi que le montre la photo suivante : Cette valeur d'altitude de 1394 m est bien compatible avec celle de 1350 m du montrond du Devès à 580 mètres de distance à l'est. Au passage, nous rappellerons que les montronds doivent leur forme typique au fait qu'ils se situent à la confluence de deux glaciers, en l'occurrence le glacier de la face sud du Senépy avec celui du Drac qui occupait la vallée de La Mure. Divers aspects des délaissés morainiquesLes délaissés morainiques peuvent revêtir différents aspects. Outre ceux qui ont été présentés ci-dessus dans cette page en voici quelques autres :
Le sommet de ce délaissé morainique se situe sur la Côte du Mas, près de Lans-en-Vercors (Isère). à l'altitude de 1340 m
(W3W patrie.offre.décrivant)
En bas à droite de la photo, on distingue quelques clapiers.
Ce délaissé morainique, très typique des Alpes du Sud, se situe au sommet du Baou de Saint Jeannet (Alpes-Maritimes).
Ce clapier à gros blocs est un délaissé morainique près du Grand Echaillon (Isère), où la gélifraction s'est contenté de fragmenter en gros rochers le bloc erratique originel.
Il se situe à l'altitude de1220 m, en w3w hôtesse.violon.balayage.
Enfin, pour terminer, voici un délaissé morainique de grande taille, le plus grand que nous ayons rencontré,
sur la face ouest de Côte Blanche (Vercors), au-dessus de la ferme de Guillamy (W3W gèrons.émouvant.paysan)
Existe-t-il des délaissés morainiques dans d'autres massifs que les Alpes ?Le massif des Vosges en est dépourvu. C'est donc qu'aucun sommet de ce massif n'émergeait de la surface du glacier au pléniglaciaire du Mindel, alors que de nombreux sites datables du Würm ont pu y être recensés. Puisque la surface du glacier du Mindel s'élevait à plus de 1250 mètres, altitude maximum des Ballons d'Alsace, de quel massif extérieur aux Vosges pouvaient provenir ces glaces ? Ce ne pouvait être le massif de la Forêt Noire, d'altitude inférieure à celle des Vosges. Nous pensons qu'elles provenaient du massif du Mont-Blanc, voire des grands massifs suisses, distants de 200 à 220 km et que leur surface ne rentrait pas en contact avec le sol des Vosges.
Les éléments rocheux présents à la surface de ces glaciers ne pouvaient pas se déposer sur le sol où ils auraient donné naissance à des moraines fixes ; ils continuaient leur chemin, sans que l'on puisse les discerner dans les paysages actuels. En effet, leur effectif se réduisait, du fait de leurs chutes dans les crevasses, ce qui rend difficile la détermination de la moraine frontale de cette grande nappe glaciaire. Seule la découverte d'éléments de cristallin, par exemple sur le Plateau de Langres ou en Champagne pourrait permettre de situer l'extension maximum du glacier dans le Bassin Parisien. Signalons enfin la présence, en Bretagne, dans le massif des Monts d'Arrée, d'un mince liseré de dépots rocheux, vers 341 m d'altitude sur le versant nord du Roc'h Trèvéz, en w3w favoriser.vêler.vecteur. Mais il s'agit vraisemblablement de blocs détachés de la falaise qui les domine par la gélifraction et demeurés en place étant donné l'absence de glacier à cet endroit. |
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Mise à jour le Vendredi, 06 Novembre 2020 14:47 |