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Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) Présentation et mise en page Bruno Pisano 

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Epaules et seuils glaciaires PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Claude Beaudevin   
Mardi, 02 Mars 2010 12:40
Version 100

Il nous semble que certaines formes très caractéristiques que l'on rencontre en montagne peuvent être imputées à l'action des glaciers : les épaules et les seuils. Leur étude nous paraît apporter quelques arguments complémentaires à notre hypothèse du rôle important joué par les eaux dans la genèse des reliefs glaciaires.

Les épaules glaciaires

Dans certains cas, les épaulements d'une vallée glaciaire - que nous appellerons alors épaules - sont très sensiblement horizontaux et atteignent de très grandes dimensions.

Quelques exemples :

      • l'épaule de Montfroid (Eau d'Olle, Savoie)

        Au-dessus d'un flanc d'auge d'une pureté géométrique, voici l'épaule de Montfroid, horizontale à ± 10 m près sur 500 m. Les roches que l'on rencontre sur le fil de l'épaule sont assez diverses, ce qui élimine une origine purement lithologique.

        Dans le coin inférieur gauche de la photo apparaît l'extrémité amont du lac de Grand Maison, non recouvert de glace, car soumis à des variations quotidiennes de niveau dues au fonctionnement de l'usine hydroélectrique.

        L'épaule de Montfroid (Eau d'Olle, Savoie)
        Photo prise du col du Sabot (Isère).
      • la crête de Tournoux au-dessus de la Condamine-Châtelard (Ubaye, Hautes-Alpes), horizontale à ± 20 m près sur une longueur de 1,5 km,

      • la Côte Névachaise (vallée de la Clarée, Hautes-Alpes), horizontale à ± 10 m près sur 1 km,

      • le Fioc, arête nord-est de Pied Moutet (Les Deux Alpes, Isère), horizontal à ± 24 m près sur une longueur de 1 km,

      • la crête des Guillets (Saint Nizier du Moucherotte, Isère), horizontale à ± 10 m près sur 2,5 km. Dans ce dernier cas une origine structurale peut également être évoquée, car il s'agit du dos de la voûte sénonienne enveloppant le célèbre pli de Sassenage. C'est une application de ce que nous disions en introduction, que l'on pourra relire ici,

      • le Mont Saint Eynard (près de Grenoble), la plus longue épaule que nous avons pu identifier, horizontale à ± 22 m près sur une longueur de 4,6 km,

      • la crête du Praillet, sur Gleyzin (sur Allevard, Savoie), horizontale à ± 20 m près sur 1,1 km.

Mais c'est la vallée de l'Isère, dans les environs de Moûtiers (Savoie), qui nous paraît présenter les deux sites les plus intéressants car ils nous permettent d'attribuer de manière certaine la formation des épaules à l'oeuvre des glaciers.

Les épaules de Moûtiers
  • rive droite de l'Isère, l'épaule du Bozon, portée par l'arête sud-sud-ouest du Quermoz, est remarquable : sur une longueur de 1900 m, l'altitude n'y varie que de ± 20 m, autour de 2060 m. Elle abrite un lac, celui du Saut.

  •  rive gauche de l'Isère, exactement en face de ce site, sur la rive opposée de l'Isère et symétriquement par rapport à Moûtiers, l'arête du Dos de Crêt Voland au Roc de Fer, au dessus de St-Martin-de-Belleville (Savoie) est horizontale à 2070 m ± 22 m sur une longueur de 1800 m. La présence de deux lacs sur l'arête même montre déjà bien son origine glaciaire, confirmée par l'existence de sillons vallonnés sur le versant est, légèrement en contrebas (2030 m).

 
Coupe sur les épaules de Moûtiers
L'égalité d'altitude de ces deux épaules, en dépit d'une lithologie différente (schistes et grès houillers à Crêt Voland et brèches jurassiques du Quermoz et microbrèches crétacées au Bozon) montre bien qu'elles ont été rabotées par le même outil. Leur situation en crête ne permet pas d'imputer leur formation à une érosion autre que glaciaire (fluviale ou torrentielle par exemple) ; il nous paraît donc certain qu'il s'agit là de l'oeuvre des glaciers qui les ont franchies pendant de nombreuses glaciations. De plus, l'altitude de 2060 et 2070 m des deux sites est très proche de celle que l'on peut déduire de l'examen de notre graphique relatif à l'Isère au-dessus de Moûtiers.

L'examen des différentes épaules présentées dans cette page nous conduit à une remarque intéressante : tout se passe comme si le glacier "usinait" la crête de l'épaule de manière à la rendre parallèle à sa propre surface à cet endroit. Le Mont Saint Eynard en est un bon exemple.

On trouvera au bas de cette page une tentative d'explication.

 

Les seuils glaciaires

Les seuils sont des cols largement ouverts, caractérisés par une horizontalité quasiment parfaite, sur une longueur qui se chiffre en hectomètres ou en kilomètres. Ces seuils nous paraissent constituer également une forme typiquement glaciaire, apparentée aux épaules.

En voici quelques exemples, en commençant par celui qui révèle le mieux les actions glaciaires, la Montagne du Gros Foug.

Ce chaînon, qui domine la rive gauche du Rhône, est situé en Haute-Savoie, entre Culoz, Seyssel et Rumilly. Géologiquement, ce long anticlinal appartient au Jura. Sa crête s'étend, sur près de 10 km, entre les altitudes extrêmes de 950 et 1057 m, soit à l'altitude moyenne de 1000 m à ± 53 m près. Parmi les seuils que nous allons rencontrer, ce n'est donc pas le plus remarquable au point de vue géométrie, les suivants feront mieux ; mais, nous l'avons dit, c'est celui qui révèle le mieux le rôle des glaciers.

Le seuil du Gros Foug en Haute-Savoie

Sur cette surface quasiment horizontale qui émerge d'un environnement miocène, les terrains apparaissent en auréole d'âge décroissant du centre vers la périphérie, du kimméridgien au miocène. L'ensemble évoque inévitablement un oignon tranché par un couteau bien aiguisé, qui laisse apparaître une partie de ses couches intérieures, montrant ainsi que, si c'est la tectonique qui a donné naissance à cette montagne, c'est l'érosion qui est responsable de sa forme régulière.

Et seule l'érosion glaciaire a pu s'exercer ici.

Quelques autres seuils, d'une horizontalité encore plus saisissante

  • le seuil de Brié, près d'Uriage (Isère), horizontal à ± 10 m près sur 2 km, emprunté jadis par une diffluence du glacier de la Romanche.

  • le seuil de Laye (Vallée du Drac, Isère)

Le seuil de Laye dans la vallée du Drac en Isère

Entre les deux flèches rouges s'étend le seuil de Laye, horizontal à ± 5 m près sur 1 km, que le glacier du Drac, à son maximum d'extension, au MEG, c'est-à-dire au Riss ou lors d'une phase très ancienne du Würm, surmontait de 500 m.

Photo prise de la Route Napoléon, près de Corps (Hautes-Alpes).

Situation géographique

Au même titre que les épaules, les seuils nous paraissent être l'oeuvre des glaciers, même si la nature des roches, bien entendu, a dû, ici aussi, jouer un rôle important. Il semble que l'horizontalité des seuils est d'autant plus parfaite que la glace qui les franchissait était plus épaisse, peut-être parce que, de ce fait, ils furent plus longuement recouverts.

Deux seuils remarquables, le seuil Bayard et celui de la La Freissinouse.

Mais quelle était donc l'épaisseur de glace au-dessus des épaules et des seuils au maximum des glaciations ? En ce qui concerne les seuils, les résultats sont très disparates, s'échelonnant de 300 mètres à La Freissinouse jusqu'à 800 mètres sur le seuil de Brié.

Les épaules, elles, font preuves d'une beaucoup plus grande régularité, tous les chiffres que nous avons obtenus étant de l'ordre d'une centaine de mètres. Dans le cas des épaules, l'analogie nous semble évidente avec les chiffres que nous avons trouvés en étudiant les épaulements, dont les sommets se situent à quelques dizaines de mètres sous la surface du glacier (nous avons adopté la valeur de 50 m pour construire nos graphiques) alors que les rebords d'auge se plaçaient à une profondeur beaucoup plus variable, donc non susceptibles de pouvoir être utilisé comme sites témoins. On pourra le vérifier ici.

Un cas particulier est constitué par les sommets-seuils.

Après cette description des épaules et des seuils, intéressons-nous à leur genèse.

 
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Mise à jour le Jeudi, 15 Mars 2018 19:07