Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) | Présentation et mise en page Bruno Pisano |
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Ecoulement des eaux glaciaires dans un glacier de vallée |
Écrit par Claude Beaudevin | ||||||||||||||
Lundi, 11 Janvier 2010 21:40 | ||||||||||||||
Rappelons tout d'abord quels sont les différents flux d'eaux glaciaires qui ont été identifiés jusqu'à présent. Nous avons utilisé, dans l'ensemble de notre site, quatre termes pour définir ces différents flux d'eaux, soit, de la surface du glacier jusqu'au fond d'auge, les termes de :
Les eaux de surfaceLe premier flux rencontré est celui des « eaux glaciaires de surface », qui circule légèrement sous la surface du glacier, voire à ciel ouvert dans des bédières à la surface même de celui-ci et qui comprend :
Nous sommes assez bien renseignés sur le parcours de ces eaux glaciaires de surface :
À l'autre extrémité du parcours suivi par les eaux glaciaires, voyons maintenant comment circulent les eaux de fond d'auge. Les eaux de fond d'augeCe sont les forages et les observations effectuées à partir des galeries de captage des eaux sous-glaciaires qui ont permis de préciser le parcours de celles-ci, tout au moins dans le cas des glaciers actuels. Ils ont été effectués sous une épaisseur de glace ne dépassant par 300 m, c'est-à -dire nettement inférieure à celle des grands appareils de vallée quaternaires.
La même constatation a été faite à la Mer de Glace.
L'examen des formes d'érosion que présente le fond d'auge sur le front de glaciers actuels ainsi que sur celui de glaciers quaternaires disparus corrobore ces observations sous-glaciaires.
Nous pouvons donc à présent, tracer le schéma suivant, qui résume les connaissances actuelles sur la circulation des eaux glaciaires en surface et sur le fond d'auge d'un glacier. Mais que se passe-t-il à l'intérieur du glacier, entre le moment où les eaux superficielles s'engouffrent dans les moulins et celui où elles apparaissent sur le fond, c'est-à -dire entre les points d'interrogation de la figure ? Pour le savoir, il faut d'abord avoir compris ce que nous entendons par surface d'écoulement intraglaciaire.
Une hypothèse de circulation des eaux à l'intérieur d'un glacier de valléeComme indiqué en tête de page, nous avons défini quatre flux d'eaux glaciaires :
Ceci nous a conduit à privilégier un mode de circulation que l'on peut décrire schématiquement ainsi qu'il suit : Les eaux glaciaires de surface, définies plus haut, circulent à l'air libre ou à quelques dizaines de mètres de profondeur. Par des moulins et fractures de la glace qu'elles rencontrent, ces eaux descendent à l'intérieur du glacier, jusqu'au niveau de la surface d'écoulement intraglaciaire, environ 150 m sous la surface glaciaire. L'imperméabilité de la glace en dessous de cette profondeur les contraint alors à rejoindre les versants, contre lesquels elles s'écoulent. A ce stade, nous les avons nommées eaux glaciaires latérales. C'est dans cette portion de leur trajet que celles-ci effectuent une partie importante de leur action d'érosion, ainsi que nous le verrons un peu plus loin dans le site. Leur débit s'accroît au fur et à mesure de leur parcours, jusqu'à ce qu'elles rencontrent une zone de faiblesse dans l'étanchéité, zone qu'elles utilisent pour descendre dans les profondeurs du glacier, devenant alors nos eaux glaciaires profondes. Si l'on veut fixer une valeur plus précise de l'altitude de circulation de ces eaux glaciaires latérales, celle-ci dépendra de l'utilisation qui en sera faite :
Dans leur parcours, ellesfinissent par rencontrer une zone de faiblesse dans l'étanchéité de la glace contre la paroi, zone qu'elles utilisent pour continuer leur chemin vers le fond d'auge où elles deviennent alors des eaux glaciaires profondes. Ces zones de faiblesse nous paraissent dues à des décollements de la glace qui, selon nous, se produisent en particulier à l'aval des contreforts descendus des sommets latéraux à la vallée. Il se créerait là des cavités sous-glaciaires communiquantes entre elles, qui formeraient des sortes de conduits subverticaux. Ces eaux glaciaires profondes présentent, elles aussi, un débit important, mais nous ne connaissons que peu de choses concernant leurs modalités d'écoulement ainsi que leur capacité d'érosion. Peut-on être assuré de l'existence de tels décollements à ces profondeurs et est-il possible d'en déterminer l'emplacement ? Nous utiliserons dans ce but l'analogie avec les cavités présentes sur le fond de l'auge.
Nous supposons qu'il en est de même sur les flancs d'auge et que les conduits que les eaux glaciaires latérales puis les eaux glaciaires profondes utilisent pour gagner le fond d'auge, sont dus à de pareils décollements, Ceux-ci se formeraient sur le versant aval de saillies des parois, en particulier donc de contreforts descendus des sommets latéraux de la vallée. Alors que l'existence des moulins de rive a été constatée de visu lors d'explorations à la surface de glaciers, nous en sommes réduits aux hypothèses concernant l'existence, la géométrie et la localisation de ces conduits à de plus grandes profondeurs. Leur existence nous semble toutefois être avérée par la présence d'une forme très caractéristique du modelé glaciaires, les « ravinements », qui sera étudiée plus loin. Toutefois, les parois d'auge présentent souvent des zones, parfois assez étendues, où n'existe aucun contrefort. La présence de ravinements dans ces zones nous montre que de tels conduits pouvaient jadis exister même en l'absence de contreforts, utilisant peut-être pour cela de plus petites irrégularités locales de la paroi. Dans ce cas, on assiste souvent à la formation de « reliefs glaciaires sériels » (étude en cours). On aboutit donc au schéma suivant, dans lequel les eaux glaciaires profondes rejoignent le fond d'auge en empruntant des conduits situés le long des flancs de la vallée. Parvenues sur le fond d'auge, où elles deviennent des « eaux glaciaires de fond », elles circulent alors dans des tunnels sous la glace et dans des chenaux de fond creusés dans le bedrock (R et N channels). En dernier lieu, près du front du glacier, lorsque l'épaisseur de glace diminue et, avec elle, la pression exercée sur le fond, les eaux peuvent se rassembler en un torrent unique qui coule au fond de l'auge, souvent dans un « canyon sous-glaciaire ». Les chenaux sous-marinsA partir de quelle épaisseur de glacier les chenaux du bedrock peuvent-ils se former ? Question importante, à laquelle de récentes observations effectuées en Antarctique semblent apporter un début de réponse. On peut lire, en effet, dans le n°88 du 24 avril 2007 de la revue EOS qu'une mission océanographique a découvert, dans la Calving Bay de la mer d'Amundsen, baie dans laquelle ont lieu d'importants vêlage, deux surcreusements glaciaires laissés en mer après recul de la calotte depuis le dernier maximum. L'un d'eux est profond de 1600 m et son fond est sillonné de "réseaux dendritiques à méandres" qui témoignent, nous semble-t-il, de la présence d'anciens chenaux sous-glaciaires à cette profondeur. Des eaux glaciaires ont donc atteint autrefois un fond d'auge, à 1600 m, voire plus, sous la surface du glacier ! Cette constatation ne saurait, cependant, être généralisée à tous les glaciers, en particulier aux appareils alpins. Il convient en effet de tenir compte du fait que ce glacier de l'Antarctique qui draine le tiers de la glace de la calotte d'Antarctique Occidentale, est soumis à ce que nous avons appelé « l'effet de flottaison », qui devait diminuer le poids du glacier sur le fond et donc, peut-être, permettre aux eaux de rejoindre plus facilement celui-ci. Il nous semble toutefois probable que cet effet n'était pas assez important, à l'endroit où ont été observés ces chenaux sous-glaciaires, pour décoller largement du fond la glace (n'oublions pas que, de plus, le niveau des océans se situait 300 m plus bas que de nos jours). Car on peut penser que ces chenaux sous-glaciaires n'auraient pu se former si la glace avait été séparée du fond par une tranche d'eau assez importante dans laquelle les écoulements sous-glaciaires se seraient dilués. On peut s'interroger également sur l'origine de ces eaux glaciaires : étaient-elles dues à la fusion superficielle, peu importante sans doute ici ou au gradient géothermique, ou bien à une éventuelle activité volcanique sous-glaciaire ? De pareils chenaux sous-glaciaires ont d'ailleurs été également observés à des profondeurs comparables sous d'autres glaciers se déversant dans l'océan. Ce détour par l'Antarctique nous semble donc bien prouver que des chenaux de fond peuvent se former sous une grande épaisseur de glace, ce qui semble bien constituer une confirmation du schéma de circulation des eaux que nous venons d'exposer. Les eaux météoriquesSoulignons enfin une différence essentielle entre le cheminement des eaux météoriques (pluie et neige) dans une vallée fluviale et dans une vallée glaciaire englacée. Dans le cas d'une vallée fluviale, une section donnée de la vallée reçoit uniquement l'apport des eaux météoriques tombant sur sa surface, eaux qui exercent donc une érosion répartie sur toute cette surface. Celles tombées plus en amont ont été collectées et courent déjà sur le fond du talweg sous forme d'une rivière. Dans le cas d'une vallée glaciaire, par contre, les eaux météoriques tombant sur une section donnée de la vallée se joindront tout d'abord aux eaux glaciaires de surface puis rejoindront le fond d'auge en devenant des eaux glaciaires latérales, puis des eaux glaciaires profondes. Les débits de ces deux flux sont plus concentrés que celui des eaux météoriques tombant sur la même section de la vallée après la fin de la glaciation et ils exerceront une érosion plus concentrée et plus importante au mètre carré. Le jardinier "eaux glaciaires" arrose au jet, plus érosif que la pomme d'arrosoir... On ne s'étonnera pas, sans pouvoir rentrer dans les détails ici, que nous estimions que les érosions durant les glaciations ont été des artisans majeurs du relief que nous avons à présent sous les yeux. ConclusionCe schéma de circulation des eaux à l'intérieur d'un glacier, pour hypothétique qu'il soit, nous paraît assez représentatif de la réalité, car il permet, on le verra dans la suite du site, d'expliquer la formation de nombreuses formes de relief glaciaire. Les diverses formes d'érosions causées par les differents flux d'eaux glaciairesLes eaux glaciaires causent sur le relief des formes d'érosion qui diffèrent selon leur type de flux, tels que nous les avons décrits ci-dessus et qui sont, rappelons-le, les suivants :
Pour une section donnée de la surface glaciaire, les eaux glaciaires de surface, formées essentiellement par les eaux de fonte de la glace de cette section, présentent un débit diffus, variable avec l'ensoleillement et peu important. Certaines d'entre elles, créées très près des rives, rejoignent les versants, sur lesquels elles peuvent donner naissance parfois à une légére érosion. Leur action sur ce flanc d'auge est cependant très limitée, voire quasiment nulle sur des roches compétentes. Ce n'est que sur des terrains peu résistants à l'érosion qu'elles peuvent exercer un certain effet, surtout si la pente du flanc d'auge n'est pas très importante, et engendrer alors des micros reliefs. Dans le cas général, ceux-ci disparaîtront rapidement sous l'effet des érosions postglaciaires. Plus rarement ils peuvent subsister jusqu'à nos jours sous la forme de ravinelles de taille décamètrique, par exemple celles du Mont de Rousse et celles de l'Espely. Les eaux glaciaires latérales possèdent, elles, une capacité d'érosion importante, du fait de leur débit élevé. Cette érosion s'exerce sensiblement parallèlement à la surface du glacier. Par exemple, la formation des seuils et des épaules est principalement due à l'action des eaux glaciaires latérales. Nous ne connaissons que peu de choses concernant les eaux glaciaires profondes, sinon que leur débit est élevé, de même donc que leur capacité d'érosion qui s'exercera jusqu'au fond d'auge. C'est sur ce fond d'auge que les eaux glaciaires de fond entraineront sur celui-ci la formation d'une érosion très caractéristique, décrite à la page sur le rôle des eaux glaciaires dans la formation des vallées en auge. Les ravinements, forme très importante du relief glaciaire, quoiqu'en général non identifiés comme tels, sont décrits à la page sur le rôle des eaux glaciaires dans la formation des ravinements.
(1) Cité dans "Les glaciers des Alpes occidentales", Robert Vivian, 1975 |
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Mise à jour le Samedi, 08 Décembre 2018 18:29 |