Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) | Présentation et mise en page Bruno Pisano |
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Le verrou de Siguret |
Écrit par Bruno Pisano | ||
Lundi, 17 Août 2015 16:04 | ||
Situation géographiqueEn amont d'Embrun, dans les Hautes-Alpes, la Durance passe par un point singulier : un verrou qui barre la vallée entre les villages de Saint Clément, au nord, et Châteauroux, au sud. Ce verrou se situe au débouché de la vallée de Valbelle, en aval de sa confluence avec celle de la Durance. En provenance de Valbelle, le torrent de Palps, orienté NNE, s'écoule ici entre le Mont Orel (2484 m) au sud et le Pic du Clocher (2473 m) au nord. Il rejoint la Durance, qui coule ici SSO. En aval de la cluse de Saint Clément et au nord du verrou, la rivière emprunte un passage par lequel elle s'échappe vers l'ouest, avant de reprendre, à sa sortie, son écoulement SSO. Le BRGM précise ainsi que « le bassin d'Embrun est fermé au Nord par le verrou glaciaire de Siguret », en aval de « la cluse de Saint Clément ». Le verrou de Siguret dans les Hautes-Alpes Représentation Bruno Pisano
Description des lieux(*) Durant nos différents raisonnements, nous utiliserons les altitudes actuelles du terrain. Mais, il est évident que, lors de la décrue glaciaire, elles étaient différentes.
Les sites Geol-alp de Maurice Gidon et InfoTerre du BRGM (notice 0871N feuille Embrun-Guillestre) précisent que ce verrou glaciaire est composé de flysch olistolitiques. Ils appartiennent à la nappe géologique subbriançonnaise qui émerge ici. Le verrou est constitué d'un long promontoire dans le prolongement de l'arête nord du Mont Orel avec des versants très différents :
Ce dernier s'étage de 1085 m au-dessus du village de Siguret, au sud, à 1042 m au nord, à la Pointe du Roure qui domine le cours de la Durance. Il se prolonge, en rive droite de la rivière, par un court épaulement d'une altitude de 1014 m. L'ouest de cette pente douce est bordé par une crête qui culmine à 1130 m. Elle domine, à cet endroit, la sortie du défilé de la Durance qui coule 280 m plus bas. Ce verrou a obligé la Durance à trouver un passage pour le franchir ; en l'occurrence, un défilé situé au nord, débutant à 871 m au confluent avec le torrent de Palps et se terminant, 2 km plus loin, à 850 m. Le talweg s'y situe environ 180 m plus bas que la pointe nord du verrou (Le Roure – 1042 m). Ce défilé a été utilisé par l'homme pour y établir une voie ferrée (Gap - Briançon) surplombée par une route nationale (RN 94). Image sensible au passage de la souris Représentation Bruno Pisano
Modelage du verrou par les glaciationsDurant les époques glaciaires, ce verrou obturait la vallée de la Durance juste en aval du débouché de la vallée de Valbelle, et ainsi que cela se produit lorsqu'un glacier rencontre ce genre d'obstacle, la vallée de la Durance a été creusée, en amont, par un long et profond ombilic (environ 115 m de profondeur sous le lit de la Durance). Au pléniglaciaire würmien, le glacier de la Durance descendait presque jusqu'à l'emplacement actuel de la ville de Sisteron dans les Alpes de Haute Provence. Il s'arrêtait au village du Poët, quelques kilomètres en amont. A la hauteur du verrou de Siguret, il atteignait une altitude supérieure à 1830 m. Altitude confirmée par l'épaulement à pommeau du col de la Coche (1791 m), sur le versant nord du Mont Orel dans la forêt de Saluces. L'orientation nord-sud de cet épaulement montre qu'il a été franchi par la glace du glacier de Valbelle, à sa confluence avec le glacier de la Durance. Le sommet à pommeau de cet épaulement, au nord du col, cote 1817 m. Il est ainsi possible d'estimer l'altitude de surface du glacier de Valbelle, lors du pléniglaciaire würmien, à 1870 m, altitude très proche de celle du glacier de la Durance à cet endroit, puisque nous nous situons ici à la confluence des deux glaciers. La page sur le glacier de la Durance estime l'altitude de la surface glaciaire à 1820-1830 m au droit d'Embrun (sites D1 et D2), une dizaine de km en aval du verrou de Siguret. A cette époque, le verrou (altitude actuelle : 1130 m) était largement surmonté par les glaces des deux glaciers confluant en ce lieu. Il gênait toutefois l'écoulement des glaces de la Durance, ce qui a eu deux conséquences :
Le flanc nord, lui, était nettement moins pentu. Mais les eaux qui y circulaient le faisaient dans le sens de la pente, c'est-à -dire à contresens de la marche du glacier. Des chenaux sous-glaciaires importants ont ainsi été creusés par ces eaux. Il en reste des traces et non allons nous attacher à les étudier. Traces glaciaires du verrouVers la fin de la dernière glaciation, le Würm, un lent retrait des glaciers s'est amorcé. Celui de la Durance, comme tous les autres, a vu son front glaciaire reculer et son épaisseur diminuer. Mais qui dit retrait des glaciers dit production d'eaux de fonte. Leur débit était, bien sûr, plus important qu'au pléniglaciaire et l'érosion qu'elles exerçaient, renforcée. Tout naturellement, le verrou de Siguret a subi les effets de cette érosion accrue :
Versants abruptsComme indiqué plus haut, le décollement par dépression de la glace de la roche, après son passage par dessus le verrou, ouvrait un espace suffisant pour que les eaux glaciaires s'y engouffrent en masse avec un pouvoir érosif accru. Le flanc ouest, particulièrement, et le flanc sud, dans une moindre mesure, ont été soumis à une forte érosion par ces eaux. Leur débit élevé entraînait, dans leur descente vers les profondeurs, une érosion intense, créatrice de ravinements. Les traces de ces derniers sont encore bien visibles aujourd'hui, au travers des nombreuses ravines verticales entaillant les flancs de ces deux versants. Photo Bruno Pisano
Les flancs ouest et sud du verrou.
A mi-hauteur du versant, la route D994d
Au fond, le Pic du Clocher
Après la fonte du glacier, l'érosion pluviale, nivale et par ruissellements a ensuite pris le relais. Mais, du fait de l'absence d'entonnoir de réception d'une surface suffisante sur la crête du verrou, cette érosion a été nettement moins importante. Le défilé de la DuranceLors des dernières glaciations, les glaciers de la Durance et de Valbelle confluaient juste à l'amont du verrou de Siguret. Le glacier de la Durance s'écoulait vers le SSO. Le glacier de Valbelle, provenant de l'est, avait deux effets en ce lieu relativement resserré :
De par la configuration particulière du terrain, la pointe nord du verrou, proche de la rive droite de la Durance voyait s'accumuler un débit d'eau important. Le cumul en ce lieu des eaux sous-glaciaires des deux glaciers y a induit un volume plus important d'eaux à évacuer, donc une érosion plus importante. Un passage a ainsi été ouvert au nord du verrou pour les évacuer. Les sillons et les ravines du verrou de SiguretCe verrou comporte des traces d'érosion glaciaire très importantes. En particulier :
Les sillons de penteLe versant nord du verrou est entaillé, approximativement dans le sens S–N, par deux sillons glaciaires parallèles, encore très visibles aujourd'hui :
Voici une vue aérienne montrant les deux sillons glaciaires du verrou Image sensible au passage de la souris Photo Bruno Pisano
Voici le sommet du sillon S1, au sud, dont le centre est envahi par des roseaux, vestiges d'un ancien lac en fin de comblement. Tout autour s'étalent des cultures. La photo est prise vers le nord. Photo Bruno Pisano
... et une vue du sillon S2, occupé en son centre supérieur par le lac de Siguret, largement envahi par les roseaux, donc en cours de comblement. Le lac est entouré de cultures. Photo Bruno Pisano
Une coupe altimétrique, suivant la ligne jaune de l'image ci-dessous, montre dans quelles proportions ces deux sillons entaillent le verrou : Représentation Bruno Pisano
Coupe altimétrique du verrou de Siguret de la figure ci-après
Représentation Bruno Pisano
Coupe sous Geoportail du verrou de Siguret suivant la ligne jaune passant
par les deux sillons précités et profil altimétrique correspondant
Ces deux sillons sont orientés vers le NNE. Mais il est à signaler que, en amont de ce verrou, la Durance s'écoule vers le SSO, exactement à l'inverse. Nous y reviendrons. Les ravinesDeux ravines ont été formées par des écoulements fluviatiles importants :
Nous verrons plus loin les causes de leur formation. Une vue aérienne montrant les deux ravines glaciaires du verrou Image sensible au passage de la souris Photo Bruno Pisano
Formation des sillons et des ravinesCes traces glaciaires ne présentent pas une explication évidente dans la mesure où leurs orientations sont complètement différentes :
Ces sillons et ravines ont pu être initiés au pléniglaciaire de la dernière glaciation : le Würm. Pourquoi le Würm ? Quelle que soit la glaciation retenue, lors de son pléniglaciaire, l'épaisseur de glace était très importante (plus de 1000 m sur Siguret au Würm), les volumes d'eaux étaient plus faibles (températures très basses) mais l'érosion engendrée par ces eaux sur le fond d'auge avait tendance à effacer et/ou remodeler le relief du fond des vallées. Dans le cas du verrou de Siguret, nous ne sommes pas dans le haut des vallées où une trace d'érosion engendrée par une glaciation a pu perdurer jusqu'à la glaciation suivante qui l'a réactivée. Nous nous trouvons dans le fond d'une vallée et à une altitude assez basse. De ce fait, nous pouvons supposer que des traces glaciaires datant d'une glaciation ancienne ont dû être fortement atténuées sinon effacées lors du pléniglaciaire de la glaciation suivante. Aussi, la relative "fraîcheur" des traces rencontrées sur le verrou laisse supposer une formation récente, probablement lors de la dernière glaciation : le Würm. A quel moment du Würm ? Lors du pléniglaciaire, le volume des eaux de fonte était bien moins important que lors de la décrue glaciaire. L'importance de ces traces glaciaires laisse donc supposer une formation plus tardive, vraisemblablement vers la fin de la glaciation comme nous le verrons plus loin. Comment, surtout, expliquer la direction des sillons de pente du versant nord du verrou qui sont orientés en sens contraire de l'écoulement de la glace du glacier de la Durance ? Ce glacier n'a pu s'en charger car, alors, ces sillons devraient logiquement s'écouler dans le même sens que le mouvement des glaces, c'est-à -dire NNE – SSO. Une explication en trois étapes nous semble pouvoir répondre à ces interrogations. Première étapeDans un premier temps le recul des glaciers amène celui de la Durance et celui de Valbelle à une altitude de surface de 1200 m environ. Ces deux glaciers confluent sur le verrou de Siguret qu'ils surmontent avec une épaisseur de glace de 100 à 150 m. Représentation Bruno Pisano Circulation des eaux sous-glaciaires du verrou de Siguret
lors d'une première phase de décrue glaciaire
Les eaux de fonte glaciaires latérales du glacier de la Durance (flèches bleu foncé) sont repoussées en rive droite de la vallée par les glaces du glacier de Valbelle. Ces eaux n'ont donc pas pu participer au creusement des sillons de pente du versant nord du verrou. Ils ont, par contre, pu l'être par les eaux glaciaires latérales du glacier de Valbelle, de la manière suivante :
Il reste toutefois, à éclaircir un point : si les sillons de pente S1 et S2 ont été creusés de cette manière, comment expliquer alors, que, lavés et creusés par l'érosion des eaux glaciaires, ils aient laissé des terrains si fertiles en leur centre ? Il faut pour cela envisager une deuxième étape. Deuxième étapeLa décrue glaciaire se poursuit. Le front glaciaire s'établit maintenant légèrement en retrait de la crête du verrou de Siguret, sur le versant nord, à la limite nord de l'actuel lac de Siguret. Le verrou glaciaire n'est plus surmonté en totalité par les glaces. Sur celui-ci, en aval du front glaciaire bloqué par la remontée du terrain, un espace libre de glace se dégage :
Représentation Bruno Pisano Le lac glaciaire de Siguret lors d'une première phase de retrait glaciaire
Une cuvette est ainsi formée. Principalement alimenté par les eaux de fonte de surface des deux glaciers, cet espace se remplit. Un lac se forme dont la surface plafonne à 1070 m, altitude du ressaut sud du verrou par où le lac s'évacue en formant la ravine R1. Les sillons S1 et S2 sont tous deux remplis par ce même lac mais leurs pointes nord restent séparées par une crête morainique (1090 m). Au nord et à l'est du lac, les langues terminales des glaciers font barrage à l'écoulement de ses eaux qui doivent s'évacuer par le versant sud. Le barrage glaciaire n'est sans doute pas totalement étanche, car l'épaisseur des glaciers en ces lieux est inférieure à 100 – 150 m, la limite d'imperméabilité de la glace. En traversant le lac, les eaux décantent. Elles ne déposent pratiquement rien, seulement des argiles, à l'exclusion des éléments plus gros qui, eux, se déposent au début du lac, contre les langues glaciaires. Le lent retrait des glaciers vers le nord entraîne l'extension du lac dans cette direction. Les moraines de sol sont abandonnées. Celles-ci contiennent à la fois des argiles, du sable et des cailloux. Ainsi, le lac s'enrichit pour de futures cultures. Troisième étapeLes glaciers reculent encore et finissent par lentement dégager, dans le flanc ouest du verrou, un point moins élevé que son versant sud (1070 m). L'ouverture de la ravine R2 est ainsi amorcée. Elle entaille le versant ouest, au nord du verrou. De ce fait, le déversoir sud (R1) est abandonné au profit de ce nouveau chemin dont le point le plus bas se situe (aujourd'hui) à 1020 m. Représentation Bruno Pisano Dernière grande extension du lac glaciaire de Siguret
Le niveau du lac baisse doucement, de concert avec le recul des glaciers. Le sillon S1 se vide en premier car son fond est plus élevé que celui du S2 et son extrémité nord se trouve en contact direct avec l'ouverture de la ravine R2. Les eaux de fonte glaciaires qui alimentaient le sillon S1 s'écoulent maintenant directement par cette ravine R2 qui se creuse de plus en plus. Le glacier de Valbelle a reculé lui aussi et s'est maintenant séparé de celui de la Durance. Ses eaux de fonte s'écoulent désormais à l'air libre mais viennent buter contre les glaces du glacier de la Durance qui, dans leur avancée, remontent en partie le torrent de Palps. Un lac a pu se former qui a rejoint les eaux du sillon S1. Au sud, la séparation entre les deux sillons n'est pas nette et avoisine les 1070 m. Dans un premier temps, le lac a pu maintenir son altitude de 1070 m. Il pouvait se déverser dans le sillon S1 vers la ravine R2 mais également par la ravine R1, avec des volumes moindres bien évidemment. Par ailleurs, le sillon S2 n'était plus alimenté que par les eaux de fonte du seul glacier de Valbelle. Ce volume était-il suffisant pour maintenir la surface du lac à 1070 m ? Il faut aussi se rappeler que le barrage représenté par la langue glaciaire durancienne à l'est du lac n'était pas complètement étanche. Les eaux du lac pouvaient s'infiltrer sous le front glaciaire et rejoindre les écoulements sous-glaciaires qui contournaient le verrou par le nord. Lorsque le volume des eaux de fonte a été inférieur à celui de leur évacuation par infiltration, le niveau du lac s'est mis à diminuer... jusqu'à disparaître, en ne laissant aujourd'hui que la cuvette contenant le lac de Siguret, dernier vestige du grand lac qui occupait le verrou. L'image suivante tente de représenter le trajet des glaces à la hauteur du verrou de Siguret lors d'une des phases de retrait glaciaire. Les sommets étaient vraisemblablement plus enneigés et la végétation bien moins fournie, évidemment Représentation d'un contournement du verrou de Siguret par les glaces lors d'un probable retrait glaciaire
Image sensible au passage de la souris
Photo et représentation Bruno Pisano
AnalogiePermettons-nous maintenant une petite analogie pour terminer cette présentation en nous amusant. Comme nous l'avons indiqué plus haut, lors de la décrue glaciaire, l'écoulement du glacier de la Durance venait buter contre le versant nord du verrou de Siguret. Le glacier, avec la poussée de ses glaces amont, pouvait quelque peu remonter le long du flanc du verrou. Les eaux de fonte glaciaires du glacier de Valbelle s'écoulaient sur la partie à l'air libre du verrou. Le pendage nord du versant les faisait s'accumuler le long de la rive gauche du glacier, où elles étaient bloquées par les glaces de Valbelle, renforcées par celles de la Durance. Elles emplissaient les deux chenaux sous-glaciaires préalablement creusés. Cette configuration de terrain n'est pas sans rappeler, en miniature (si l'on peut dire), le glacier de l'Isère au maximum du Würm qui, comme emporté par son élan, remontait les vallées de la Gresse et du Drac en formant, dans cette dernière, le lac du Trièves. Dans notre cas de figure :
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Mise à jour le Lundi, 26 Février 2024 10:36 |