Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) | Présentation et mise en page Bruno Pisano |
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Des canaux dalmates au lac du Beaumont |
Écrit par Claude Beaudevin | |||||||||||||||||||
Lundi, 25 Juillet 2011 15:12 | |||||||||||||||||||
Le lecteur est en droit de se demander quel lien peut exister entre des paysages aussi différents : climat, relief, nature des roches, tout paraît les opposer. Et pourtant, l'examen du relief des îles, plus exactement de celui des canaux (kanal en croate) qui les séparent, va nous permettre de comprendre certaines particularités des dépôts dans les lacs alpins. Mais rappelons tout d'abord en deux mots ce qui constitue une particularité assez curieuse des dépôts dans le lac du Beaumont : leur quasi-horizontalité et l'absence aussi bien de formes deltaïques que de chenalisations, c'est-à -dire de formes obliques résultant des divagations de l'écoulement responsable du dépôt. Partons tout d'abord sous le soleil de la cote dalmate...Les nombreuses îles qui agrémentent la côte croate - en particulier au large de la partie du rivage qui s'étende de Zadar à Dubrovnik - présentent un relief remarquable, caractérisé par des vallées mortes prolongées par des rias.
L'examen des cartes marines montre que ces trois canaux possèdent un fond à la planéité surprenante, en très légère pente vers le large (flèches bleues). Canaux et îles passent couramment pour un exemple de relief jurassien. Ce type de modelé est-il susceptible d'expliquer cette planéité ?
On ne peut manquer d'être frappé par la convergence de ces valeurs, d'autant plus que les autres canaux dalmates présentent des fonds beaucoup plus irréguliers. On remarquera que les trois canaux que nous venons de citer sont les seuls qui soient alimentés à l'amont par des rivières importantes : la Cetina (flèche rouge), dont le débouché dans la mer à Omish est particulièrement spectaculaire et la Neretva (flèche bleu fonçé) et son delta. Nous proposons l'explication suivante : Reportons nous à la fin de la glaciation würmienne. L'aspect de la côte et des îles était alors très différent de ce qu'il est actuellement, le niveau des mers s'établissant 120 à 130 mètres plus bas que de nos jours. Les îles étaient alors réunies au continent. Nous ne connaissons pas, bien entendu, le relief que présentaient alors les zones actuellement sous les eaux, mais il est probable que les rivières les avaient remblayées, au moins partiellement et créé des plaines alluviales sur lesquels elles serpentaient avant de parvenir à la mer. Puis le niveau des mers remonte ; le bas des plaines alluviales commence à s'ennoyer. Considérons une légère remontée du niveau, entraînant la création d'une tranche d'eau de faible épaisseur. Celle-ci constitue un espace disponible (au sens que lui donne la stratigraphie séquentielle), espace que les dépôts vont combler. Ce mode d'alluvionnement, qui se produit sous une faible épaisseur d'eau, est très différent de ceux que l'on rencontre en général, soit en eau profonde, soit à l'air libre. En eau profonde, prennent naissance des dépôts deltaïques, alors qu'à l'air libre se créent des plaines alluviales (encore appelées playas ou encore sandurs lorsqu'elles se situent directement à l'aval d'un glacier, ce qui n'est pas le cas ici, bien entendu). Lorsque l'espace disponible créé lors de cette légère remontée du niveau est entièrement rempli, les alluvions, parvenues à son extrémité coté mer, gagnent les profondeurs plus importantes où elles forment des dépôts deltaïques.
Au fur et à mesure de la remontée du niveau marin se construit donc un empilage de telles couches, pourvu, bien entendu que le débit des apports solides soit toujours supérieur ou égal à la vitesse de création de l'espace disponible. On assiste là à la mise en place d'un intervalle transgressif ou peut-être d'un prisme de haut niveau (au sens de la stratigraphie séquentielle).
La surface des dépôts n'est toutefois pas exactement horizontale, mais en très légère pente - voisine de 0,5 pour mille. Nous proposons d'appeler ces formations dépots par profondeur lentement croissante. Deux questions se posent alors, auxquelles nous allons tenter de répondre.
... avant de revenir dans les alpesFranchissons temps et distances et intéressons-nous aux dépôts du lac du Beaumont. Leur genèse présente avec ceux des canaux dalmates une analogie qui nous parait pouvoir expliquer leurs faciès peu courants : tous se sont tous produits lors d'une montée progressive des eaux. L'époque est différente, certes : pour le lac du Beaumont c'est l'arrivée du Würm II, et non pas la fin de la glaciation würmienne comme c'est le cas pour les canaux dalmates. Mais des conditions analogues régnaient dans les deux cas : élévation progressive du niveau, due ici au barrage de la vallée du Drac par l'avancée du glacier de la Bonne. Le lac du Beaumont prend alors naissance, dont le niveau va s'élever lentement, engendrant à chaque instant un espace disponible, qui sera comblé en continu par les apports du Drac. Et, comme dans les canaux dalmates, les dépôts par profondeur lentement croissante vont donner naissance à une plaine littorale à la surface quasiment horizontale. A la décrue du Würm, l'érosion régressive du Drac enlèvera la plus grande partie de ces dépôts, ne laissant subsister que quelques terrasses, en particulier celle de Saint-Sébastien. Des Goirands (876 m) aux Gauthiers (880 m), cette terrasse s'élève de 4 m sur une distance de 4500 m, soit une pente de 0,9 pour mille, du même ordre de grandeur - compte tenu de la précision sur la définition des altitudes - que celle des canaux dalmates (0,5 pour mille), en tous cas très inférieure à celle d'une plaine alluviale. Plus en amont, la pente des terrasses devient plus importante (4 pour mille entre les Gauthiers et le début de la terrasse de Pellafol, puis 1,2 % pour cette dernière terrasse. Ceci semble indiquer que, dans la partie amont du lac du Beaumont, une partie des dépôts s'est produite, à l'air libre, sous forme de plaine alluviale, peut-être du fait que le débit des apports dépassait alors de la création d'espace disponible. Plus de détails à la page sur le lac du Beaumont. Nous citerons pour terminer un cas qui présente certaines analogies de faciès, tant avec les dépôts des canaux dalmates qu'avec ceux du lac du Beaumont : celui des pélites du Dôme de Barrot (vallée du Var). Ici également, on se trouve en présence d'un empilage de minces strates sédimentaires, sensiblement parallèles ente elles et ne présentant, ni talus deltaïques, ni chenalisations. Et ici également, ces sédiments se sont déposés dans un bassin en subsidence, donc dans des tranches d'eau de faible épaisseur, comme en fait foi la présence, à la surface des bancs, de nombreuses rides d'oscillation (ripple marks). Il n'est donc pas surprenant d'observer une certaine convergence des faciès, même si la nature des sédiments et leur age différent (ceux du Barrot datent du Permien) et si les déformations tectoniques ultérieures ne permettent pas de connaître la pente de la surface originelle des dépôts. Ne pourrait-on également rapprocher quelque peu l'aspect de ces dépôts de celui de certains prismes d'accrétion observés dans les cas de subduction et dont la surface présente également une pente très faible, de 1 à 2 % ? En résumé, nous pensons que le faciès particulier des dépôts du lac du Beaumont est dû au fait que le niveau du plan d'eau s'élevait au fur et à mesure des apports de sédiments. Nous proposons d'appeler ce type de sédimentation "dépôts par profondeur lentement croissante". |
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Mise à jour le Lundi, 25 Juillet 2011 20:29 |