Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) | Présentation et mise en page Bruno Pisano |
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Les anciens lacs du Beaumont et du Champsaur |
Écrit par Claude Beaudevin | |||||||||||||||||||||||||||||
Mardi, 15 Mars 2011 16:45 | |||||||||||||||||||||||||||||
Au fil des glaciations successives, chacune de ces portions de vallée a été occupée par un lac. Durant le Riss, le bassin du Drac était recouvert d'une épaisse couche de glace et des lacs n'ont pu apparaître que lors de la décrue glaciaire, selon un processus analogue à celui que nous allons décrire pour le Würm. Cette dernière glaciation a vu naître un certain nombre de lacs, encore inscrits dans les paysages sous forme de magnifiques terrasses. Avant toutefois d'en venir à l'étude de ces lacs, il nous faut parler du relief qui les environne. Intéressons-nous plus particulièrement au seuil de Laye, qui sépare Saint Sébastien de Saint Jean d'Hérans, large ensellement, qui marque la frontière entre Trièves et Beaumont. Il s'agit d'une frontière humaine et géographique, qui traduit une influence géologique, car cette petite région a été modelée par les glaciers, en particulier par les eaux glaciaires. L'encadré les chenaux sous-glaciaires latéraux de la page "Les anciens lacs du bassin du Drac" va nous aider à comprendre la formation du seuil de Laye. La figure 1 ci-dessous permet de situer le seuil et on se réfèrera à la figure 2, également ci-dessous, pour plus de détails concernant la position des chenaux. Au passage, remarquons que ce seuil de Laye constitue un seuil glaciaire très remarquable, horizontal à ± 2 m près sur 700m de longueur, dont le point bas se situe au col de Laye à 925 mètres. La pièce en cinq actes dont nous allons suivre le déroulement sur la figure 2 pourrait s'intituler : Les chenaux rissiens Beaumont - Trièves et le lac rissien du Beaumont
Tant que l'altitude de la surface du glacier en décrue est restée supérieure à 1250 m environ, les eaux de fonte marginales de la rive gauche du glacier du Drac contournent le Châtel (ou Bonnet de Calvin) sans rencontrer d'obstacle.
La surface du glacier s'abaisse à 1250 m environ. Les eaux se heurtent alors à l'arête nord du Châtel et y creusent un chenal sous-glaciaire latéral, à l'altitude 1135 m, actuellement encore occupé par un petit lac.
Le niveau des glaces continuant à baisser, celui des eaux glaciaires latérales fait de même et trois autres chenaux prennent naissance. Par ces chenaux, numérotés de 1 à 4 sur la figure 2, les eaux s'échappaient dans la direction de Mens.
Lorsque l'altitude du glacier s'abaisse encore, ainsi que le niveau d'écoulement des eaux glaciaires latérales, celles-ci deux chenaux au col de Saint Sébastien : celui du ruisseau de l'Hôte (5), qui leur donnait accès à la région de Mens et celui de la combe de Chateauvieux (6) par lequel elles se dirigeaient vers Saint Jean d'Hérans, deux trajets beaucoup plus proches de la rive de la vallée que celui qui aurait contourné le Serre des Aires. Le seuil de Laye était encore trop profondément enfoui sous les glaces pour que les eaux le rencontrent. Ultérieurement la baisse d'altitude de la surface glaciaire se poursuivant, les eaux glaciaires de surface de la rive gauche du Drac, coulant à une centaine de mètres sous celle-ci, peuvent le franchir dans sa partie sud, poursuivant ainsi son élargissement.
Pour une altitude du glacier voisine de 1030 m, le niveau d'écoulement intra glaciaire descend à l'altitude du seuil de Laye. Les eaux désertent les chenaux supérieurs et le seuil lui-même. Elles creusent maintenant le chenal de Serre Berthon (7) (930 m), également dirigé vers Saint Jean d'Hérans. Plus haut dans la vallée du Drac, les langues glaciaires de la Séveraisse et du Drac se sont alors séparées. Chacune de ces langues crée un barrage dans la vallée du Drac, barrages à l'amont desquels apparaissent des lacs. C'est ainsi que le lac rissien du Beaumont prend naissance, son niveau fixé à 930 m par celui du chenal de Serre Berthon, qui était alors son exutoire. Puis le lac se comble par les sédiments qu'apportent le Drac et ses affluents.
Le niveau du glacier descendant en dessous de 1030 m, les eaux du Drac ne peuvent plus franchir le seuil de Laye et contournent alors le Serre des Aires, en suivant toujours la rive gauche et en passant un moment par le chenal des Bois (8) (altitude un peu inférieure à 940 mètres). Après l'entracte de l'interglaciaire Riss - Würm, le froid revient et, avec lui, les glaciers descendent à nouveau dans les vallées, qu'ils viennent barrer. Derrière ces barrages se créent de nouveaux lacs, au devenir complexe. Le lac würmien du BeaumontDébute alors une nouvelle pièce, également en cinq actes, que nous vous proposons de suivre sur la figure 1. Dans ses grandes lignes elle est la même que celle que nous venons de décrire concernant la glaciation rissienne. Mais le relief étant plus proche de l'actuel que lors de celle-ci, nous pouvons maintenant en préciser quelque peu les altitudes. Le décor est assez peu différent de ce que nous pouvons voir de nos jours, à l'exception de l'emplacement du lit du Drac. Car, depuis le retrait des glaces wurmiennes, une érosion très intense s'est exercée sur les flancs est et nord du Serre des Aires et le lit actuel du Drac s'est déplacé de plus de 500 mètres vers l'ouest et le sud. Le Drac a en effet, au cours des dernières centaines de milliers d'années, occupé plusieurs lits successifs "fossiles", chacun d'eux correspondant à un interglaciaire. Cette question particulièrement intéressante fera l'objet ultérieurement d'une page spéciale. En lever de rideau donc, le Drac coule donc dans son lit fossile Riss - Würm, 500 m plus à l'est qu'actuellement.
Entrée en scène du Würm. Après le Würm I, période froide mais au cours de laquelle les glaciers n'ont qu'une extension réduite, ceux-ci atteignent leur amplitude maximum au Würm II. Le glacier de la Bonne, descendu de ses montagnes, s'étale sur la région de La Mure et sur le Beaumont. Vers La Mure, il atteint la base de la colline du Paradis, dont il n'est séparé que par la Jonte qui draine les eaux de fonte de la diffluence du glacier de la Romanche qui occupait la Mateysine. Dans cette région, la crête du vallum terminal de ce glacier s'élève à 939 m à la Croix Neuve (au nord de Roizon), à 940 m à la Citadelle et à 929 m à Péchaud. Le glacier, dans ses dernieres longueurs, atteint le cours du Drac, qu'il barre.
La réponse se trouve, pensons-nous dans l'encadré Vie et mort d'un lac glaciaire de la page sur "Les dépôts glacio-lacustres", auquel nous renvoyons le lecteur et qui montre que les dépôts dans un lac peuvent s'effectuer selon trois modalités : lac, playa (ou plaine alluviale) ou dépôts par faible profondeur (ou plaine littorale). Dans le premier cas, les eaux du lac attaquant la base du glacier, celui-ci se terminait par une falaise de glace (cas du lac du Miage actuel). C'est l'examen des dépôts dans le lac - tout au moins de ce qu'il en reste de nos jours sous forme de terrasses - qui peut nous donner une réponse : ici ils sont formés de couches alternées d'argiles, de sable et de graviers, très sensiblement horizontales et sans traces de dépôts deltaïques et peu ou pas de chenalisations.
C'est un bel exemple, pensons-nous, d'une plaine littorale, d'un dépôt par faible profondeur .
Les éléments qui constituent cette terrasse inférieure de Pellafol sont en grande majorité calcaires et proviennent du Dévoluy. Toutefois on note la présence d'éléments cristallins, assez nombreux dans les couches supérieures, par exemple en dessous de Vieux Pellafol, mais beaucoup plus rares dans le bas du dépôt. La présence de ces éléments cristallins, donc originaires du Haut Drac et non du Dévoluy, pose un problème. Ils présentent en effet un faciès typiquement glaciaire, avec des arêtes émoussées, ce ne sont pas des galets fluviatiles roulés. Ils ont donc été apportés par un glacier. Mais quel glacier, puisque l'appareil würmien dracquois n'est pas parvenu ici ? Nous avons dit plus haut que la terrasse supérieure, au moins dans sa partie sommitale, présente, elle, une forte proportion de tels blocs, avec même des blocs erratiques dont le volume dépasse le mètre cube, dépôts que nous attribuions à un retour du glacier rissien dracquois. Nous pensons donc que les éléments cristallins inclus dans la terrasse inférieure proviennent de la terrasse supérieure rissienne d'où ils ont été arrachés par l'érosion. À mi-hauteur de la terrasse inférieure, sous le Vieux Pellafol, un bloc erratique, arrêté dans la pente sur le bord de la piste, vient confirmer cette thèse. Pour être complet, nous signalerons que, sur l'autre rive de la Souloise, la terrasse d'Ambel est constituée en majorité de galets roulés de cristallin. Aucun problème, cette terrasse surplombe le Drac, il s'agit bien là de sédiments lacustres apportés par cette rivière. En conclusion, nous pensons que le lac du Beaumont a été comblé essentiellement par des dépôts par faible profondeur, s'édifiant au fur et à mesure que le niveau du lac s'élevait au cours de l'avancée du glacier de la Bonne. On pourra trouver d'autres renseignements sur ce lac du Beaumont, qui, curieusement, résultent d'observation faites loin des Alpes, dans les îles dalmates, à la page Des canaux dalmates au lac du Beaumont. Quoiqu'il en soit ce lac servait de bassin de pré-décantation pour le lac du Trièves, en arrêtant la plus grande partie des dépôts grossiers. Son niveau a culminé à 880 m environ, altitude de la terrasse de Saint Sébastien. Ce schéma nous semble respecter au mieux les indications des cartes géologiques ainsi que les observations que l’on peut faire sur le terrain, en particulier la quasi horizontalité des dépôts de la terrasse de Pellafol, a priori surprenante pour un dépôt lacustre. Les eaux de surverse du lac s'écoulaient entre le versant est du Serre des Aires et la moraine frontale du glacier de la Bonne (voir la figure ci-dessus). Cette disposition est très fréquente. On peut l'observer, par exemple dans l'Isère, à La Mure, entre la colline du Paradis et la moraine du Calvaire ou encore à Gresse, également dans l'Isère. C'est également le cas de l'écoulement actuel de la Doire lorsqu'elle contourne les langues frontales des glaciers du Miage Italien et de la Brenva, dans le Val Veni (Val d'Aoste). Cet écoulement a laissé des traces bien visibles dans le paysage, les arrachements du Bois Ribay, dans la face est du Serre des Aires, qui culminent à 880 m environ, c'est-à -dire la même altitude que la terrasse de Saint Sébastien (voir à ce sujet la page sur les érosions de versants d'origine glaciaire). Plus en amont, la vallée du Drac était - toujours au maximum du Würm II - barrée par le glacier de la Séveraisse, descendu du Valgaudemar. En remontant encore la vallée, en pénétrant donc dans le Champsaur, vous vous seriez heurtés au front du glacier du Drac, à Saint Eusèbe, quelques kilomètres en aval de Saint Bonnet en Champsaur.
Le lac du Beaumont se comble entièrement, puis le glacier de la Bonne recule dans son berceau de montagnes. Le Drac continue à couler contre le Serre des Aires, dans ce qui devient le chenal des Goirands, chenal trés différent des chenaux rissiens vus ci-dessus, car ici, le Drac coule sur des sédiments et non pas sur le substratum rocheux, le bedrock.
L'érosion s'attaque aux versants du Serre des Aires. La tête du chenal des Goirands recule jusqu'à son emplacement actuel.
Le Würm connaît une récurrence, les glaciers avancent à nouveau, c'est le Würm III. Le glacier de la Bonne s'avance sur ses précédents dépôts et y construit de petites moraines frontales et latérales, en particulier sur le Serre de l'Aigle.
L'érosion régressive du Drac enlève la plus grande partie des dépôts lacustres, ne laissant subsister que quelques terrasses, aux environs de 880 m altitude. La plus importante, après celle de Pellafol, est celle de Saint Sébastien. Des Goirands (876 m) aux Gauthiers (880 m), cette terrasse s'élève de 4 m sur une distance de 4,5 km, soit une pente de 0,9 pour mille, du même ordre de grandeur - compte tenu de la précision sur la définition des altitudes - que celle des canaux dalmates (0,5 pour mille), en tous cas très inférieure à celle d'une plaine alluviale. Plus en amont, la pente des terrasses devient plus importante (4 pour mille entre les Gauthiers et le début de la terrasse de Pellafol, puis 1,2 % pour cette dernière terrasse. Enfin, l'érosion régressive capture le Drac et lui fait gagner son lit actuel. Ce schéma, certes encore partiellement du domaine de l'hypothèse et qui mériterait d'être complété, nous paraît être celui qui s'adapte le mieux aux observations sur le terrain, tout en respectant les lois d'écoulement de la glace. Le lac würmien du ChampsaurLa morphologie des dépôts lacustres est ici plus complexe encore que dans le Beaumont. On note, à l'amont, quelques terrasses aux alentours de 1050 m, datées du début du Würm II et dues sans doute au barrage de la vallée par le glacier de la Séveraisse. Cet appareil de la rive droite du Drac a atteint en effet la rive gauche où il s'est élevé au minimum à 1080 mètres au col de la Rima ainsi qu'en témoigne la présence en ce lieu d'un lambeau de terrain glaciaire. Un peu plus tard, lors du retour des glaciers au Würm III, se sont formées plusieurs terrasses, en particulier la magnifique "plaine" quasiment horizontale de Chauffayer (901 à 910 m d'altitude d'aval en amont), imputable également au barrage de la vallée du Drac par la langue glaciaire de la Séveraisse. |
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Mise à jour le Lundi, 14 Octobre 2013 16:17 |