Textes, croquis et photos (sauf mention contraire) Claude Beaudevin (1928 - 2021) | Présentation et mise en page Bruno Pisano |
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La basse vallée de l'Isère |
Écrit par Claude Beaudevin | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Dimanche, 12 Décembre 2010 20:23 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Sites caractérisques de la basse vallée de l'Isère Les sites rissiens sont indiqués en rouge, les sites würmiens en noir
Les distances sont mesurées à partit d'une ligne Tèche/Cognin-les-Gorges
CM = Crêtes morainiques DM = Dépôts morainiques
Ces données de base résultent des travaux de G. Monjuvent. La courbe "Würm théorique" est celle obtenue par application de la formule de Nye-Lliboutry, en prenant en compte une origine située 40 km en aval de Grenoble, à l'altitude de 200 m. La courbe "Riss théorique" est, de même, obtenue en prenant en compte une origine située 56 km en aval de Grenoble, à l'altitude de 250 mètres. Les sites caractéristiques figurant sur les documents ci-dessous proviennent de la carte géologique au 1/50 000e "Grenoble" ainsi que des cartes "Stratigraphie des Formations Détritiques du Néogène supérieur et du Quaternaire" établies par Pierre Mandier. Une première conclusionLe graphique ci-dessus montre que les sites würmiens situés en amont de Voreppe se placent très correctement par rapport à une courbe dont l'origine se situe 40 km en aval de Grenoble, à une altitude de 200 m (rappelons que la courbe est l'enveloppe supérieure des altitudes des sites et non la moyenne de ces altitudes). Ce fait n'est pas nouveau : en effet, les sites A (moraine du Marais) et B (moraine des Guillets) ont déjà été décrits par G. Monjuvent, qui a souligné également leur positionnement correct par rapport à la courbe. Le glacier würmienUne difficulté surgit toutefois lorsque l'on cherche à déterminer, grâce à la formule, la position du vallum terminal würmien, dont il ne reste aucune trace. Cette difficulté est due au coude prononcé que faisait le glacier pour contourner le Bec de l'Echaillon. Selon quel tracé faut-il mesurer les distances ? La figure ci-dessous montre que l'on peut en effet envisager plusieurs possibilités.
L'incertitude sur la position du vallum terminal est, on le voit, d'une dizaine de kilomètres. L'utilisation de la formule se révèle donc, a priori, impossible en aval de Voreppe. Pour lever cette indétermination, il convient d'examiner les dépôts et crêtes morainiques qui subsistent sur le terrain. L'existence, au nord-est de Vinay, d'une crête morainique à Révolière, à la cote 384 m (site repéré S), donc en aval de Rovon, suffit à éliminer le Nous situons donc l'origine des distances sur cette ligne Têche / Cognin-les Gorges, tout en sachant que par suite de l'effet de langue, le glacier a pu parvenir en réalité un peu plus loin, par exemple à l'extrémité aval de la terrasse de Vinay, ainsi que peut le laisser penser l'existence à cet endroit d'une courte vallée morte collée contre la rive droite. Ceci nous amène à effectuer une distinction entre l'origine adoptée pour les distances, que l'on pourrait définir comme étant en quelque sorte un vallum frontal virtuel, distinct du vallum frontal réel, qui, lui, est identifiable sur le terrain. Ce vallum frontal réel a, malheureusement, souvent été emporté par l'érosion, ce qui est le cas, rappelons-le, dans cette basse vallée de l'Isère. Trois sites caractéristiquesLa terrasse de VinayLe premier de ces trois sites pose un problème délicat ; il s'agit des kettles que porte la terrasse de Vinay. On peut observer en effet trois de ces formations, repérées en AA, sur la partie nord de cette terrasse, aux points de coordonnées UTM 31T (en système WGS 84) :
Ces entonnoirs, d'une centaine de mètres de diamètre et d'une quinzaine de mètres de profondeur, remplis de broussailles ou de noyers, sont creusés dans une des terrasses fluvio-glaciaires que les cartes "Stratigraphie des Formations Détritiques du Néogène supérieur et du Quaternaire" établies par P. Mandier datent d'une phase de décrépitude du glacier de l'Isère. Or ces kettles se situent à 6,5 km en amont de la ligne Têche / Cognin-les Gorges. Il faudrait donc admettre que, lors de cette phase de décrépitude, le glacier a rejoint à peu près son extension maximum du Würm II. Cette remarque étonnante serait d'ailleurs encore plus fondée si l'on admettait, à la suite de G. Monjuvent, que le glacier n'a pas dépassé Rovon, puisque les kettles sont situés en face de ce village. La cause de ce fait curieux pourrait-elle être un surge (crue glaciaire, encore appelée foirage) ? Ou encore une débâcle de lac glaciaire, tel le lac du Trièves (voir la page sur les débacles gigantesques) ? La vallée morte du MolèronUn deuxième site remarquable est celui de la vallée morte du Molèron, au-dessus de Saint-Gervais (site repéré Z). Il s'agit d'une très belle petite vallée morte, au profil typique de diffluence - c'est-à -dire en pente légère vers l'aval - qui présente des dépôts que la carte géologique au 1/50 000e Grenoble date du Riss. L'examen du graphique ci-dessus montre que cette attribution n'est pas évidente. En effet, l'altitude de cette vallée du Molèron est assez basse pour qu'elle ait été empruntée par le glacier würmien et les dépôts pourraient être envisagés comme datant de cette époque. En effet, s'ils étaient rissiens, on pourrait s'étonner qu'ils ne soient pas recouverts de dépôts würmiens, puisque le glacier de la dernière glaciation a également, d'après la courbe ci-dessus, emprunté la vallée morte du Molèron. Espagne, à Mont-Saint-MartinEnfin, un dernier site, celui d'Espagne, à Mont-Saint-Martin (site D), en amont de Voreppe, nous permet une remarque d'intérêt général : A Espagne (site D), les terrains glaciaires würmiens s'élèvent à 960 m. Or, lorsqu'on s'éloigne de la vallée de l'Isère en remontant le vallon de Lanfray, une moraine, cachée dans la forêt, vient barrer le fond du vallon, 500 m après Mont-Saint-Martin. Sa crête cote 930 m. Partant du site D, l'application de la formule conduirait, dans le fond du vallon de Lanfray, à une altitude de 820 m , bien inférieure à la réalité. La formule ne s'applique donc pas dans ce cas, celui d'une vallée "ascendante", application de ce que nous disions en conclusion à la page sur le traitement mathématique théorique de la question. Le glacier rissien
Nous l'avons dit plus haut, l'application de la formule à partir d'un vallum frontal rissien situé à 56 km de Grenoble (soit dans les environs de Saint-Nazaire-en-Royans), à la cote 250 m (valeurs indiquées par G. Monjuvent) conduit à un résultat très exact pour le site rissien de Saint-Nizier-du-Moucherotte (repéré W), que nous décrivons plus en détail à la page sur les diffluences de Saint Nizier du Moucherotte. Bien qu'il ne subsiste aucun vestige de ce vallum, nous positionnerons ici le vallum frontal virtuel rissien dans la vallée de l'Isère. Bien entendu, il s'agit là du vallum virtuel, le glacier étant, en réalité, parvenu plus loin, compte tenu de l'effet de lobe. Aucun dépôt de cette glaciation n'est en effet mentionné, dans les documents en notre possession - en particulier sur les cartes établies par Pierre Mandier - en aval de celui de Rolland (site T), ce qui ne peut manquer d'étonner. Si l'on s'en tient à ces documents, les glaciers würmien et rissien se seraient avancés pratiquement jusqu'au même endroit dans la basse vallée de l'Isère, alors que, nous le verrons plus loin, leurs fronts étaient très éloignés l'un de l'autre en Bièvre-Valloire. Il en résulterait également que, plus en amont dans les vallées de l'Isère et de ses affluents, les surfaces des glaciers se seraient élevées au même niveau, car on ne voit pas pourquoi la formule qui s'applique très correctement aux glaciers würmiens ne le ferait pas pour les glaciers rissiens. Inutile de préciser que cette hypothèse est contredite par toutes les observations que l'on peut effectuer dans ces vallées. On peut imaginer que la totalité des dépôts rissiens les plus élevés de la basse vallée de l'Isère a été emportée par l'érosion interglaciaire et postglaciaire. Nous avouons toutefois être sceptiques - car certains dépôts situés dans des sites protégés auraient dû subsister jusqu'à nos jours - mais sans être en mesure de proposer une explication valable. Comment avons-nous déterminé le tracé du lobe rissien de l'Isère ?Le vallum frontal du glacier rissien dans la Bièvre, bien conservé, une fois n'est pas coutume, figure sur les cartes géologiques, tant au 1 / 50 000e qu'au 1 / 250 000e. Il se situe 4 km à l'est de Beaurepaire et son altitude peut être estimée à 300 mètres. L'altitude du glacier à Voreppe (voisine de 1050 m) résulte du calcul effectué à l'aide de la formule à partir des valeurs indiquées par G. Monjuvent (vallum virtuel de la basse vallée de l'Isère situé à 56 km de Grenoble, à 250 m d'altitude), conforté par la prise en compte des dépôts situés plus en amont. Dans la vallée de l'Isère, la position du vallum terminal est plus difficile à déterminer car aucun dépôt ne subsiste. Des considérations géométriques nous inclinent à penser que le glacier a pu parvenir jusqu'à Saint-Hilaire-du-Rosier, voire même à Saint-Lattier, à une quinzaine de kilomètres en amont de Romans-sur-Isère. Quant aux courbes de niveau de la surface du glacier, ne croyez pas qu'elles ont été tracées au « pifomètre » ! Leur position résulte de la comparaison avec des lobes de glaciers actuels du Spitzberg, d'Islande et d'Alaska. Comparaison avec les résultats des études antérieuresLa carte géologique au 1/ 250 000e Lyon indique les limites d'extension vers l'ouest des glaciers rissien et würmien. Ces limites diffèrent parfois très sensiblement de celles qui résultent de notre étude. Pour le Würm les résultats sont assez proches : toutefois la carte géologique indique que le glacier würmien n'a pas dépassé Saint-Quentin-sur-Isère alors que nous pensons qu'il s'est étendu un peu plus loin, jusqu'à une ligne Têche / Cognin-les Gorges, légèrement en aval des dépôts de Rovon signalés par G. Monjuvent. Mais les différences sont beaucoup plus sensibles en ce qui concerne le Riss, ainsi que le montre la carte ci-dessus. En Bièvre-Valloire les résultats sont homogènes, ce qui est normal, puisque nous sommes partis, pour tracer la limite d'extension du glacier, de la moraine frontale que les cartes géologiques situent 4 km à l'est de Beaurepaire. Toutefois, un peu plus au nord, nous pensons que le glacier a du frôler le rebord de la forêt de Bonnevaux, puisque ses eaux ont emprunté la vallée de Lieudieu, alors que la carte situe son avancée maximum au fond de la vallée. Plus au sud, les divergences sont encore plus importantes. Ainsi, la carte indique que, dans la vallée de l'Isère, la limite d'extension rissienne se confond avec celle du glacier würmien et que le glacier n'a pas recouvert les collines environnant le col de la Croix de Toutes Aures. Notre étude montre au contraire que toute cette région a été recouverte par les glaces. Le Riss n'aurait pas atteint Vinay, alors que nous situons son avancée maximum une vingtaine de kilomètres plus loin. Dans les environs de Saint-Pierre-de-Chérennes, 10 km en aval de Vinay, subsistent des lambeaux de dépôts alluvionnaires renfermant - ainsi que le signale d'ailleurs la carte géologique au 1 / 50 000e Romans-sur-Isère - de nombreux galets de roches cristallines dont la présence sur ce flanc du Vercors ne peut être attribuée qu'à une action glaciaire. Leur altitude (470 m) est compatible avec les résultats de notre étude, mais non avec la limite d'extension du glacier figurant sur les cartes géologiques, excepté si on suppose qu'ils datent d'une glaciation antérieure au Riss. Ceci nous paraît toutefois peu probable, car ces dépôts ne se trouvent pas dans des sites protégés ; dans le cas de la formation du Bouvet, en particulier, ils sont soumis au contraire, à une vigoureuse érosion régressive qui nous fait douter d'un âge antérieur au Riss. La divergence entre les limites figurant sur les cartes géologiques et nos propres résultats tient, selon nous, à la différence entre les méthodes d'étude utilisées. Les limites d'extension des cartes géologiques ont été, très vraisemblablement, déduites de l'examen des dépôts, alors que nous nous sommes servis, non seulement de celui-ci, mais aussi des lois d'écoulement de la glace et de l'observation des formes majeures, telle l'auge glaciaire magnifique de la Bièvre-Valloire. Il nous semble que l'appellation "Limite d'extension vers l'ouest du glacier rissien" figurant sur les cartes géologiques gagnerait à être remplacée par une formulation telle que "Limite d'extension actuelle vers l'ouest des terrains glaciaires rissiens". On notera que la Bièvre-Valloire constitue un site protégé dans lequel les dépôts anciens se sont conservés, au contraire de la basse vallée de l'Isère où ils ont probablement disparu, emportés par l'érosion fluviale. Nous conviendrons toutefois que cette remarque ne saurait s'appliquer aux collines proches du col de la Croix de Toutes Aures, où ne coule aucune rivière importante. Pourquoi n'y a-t-il aucun dépôt glaciaire dans cette zone ? La réponse à cette question se trouve peut-être dans la région de La Mure, où l'on observe la même absence de dépôts, que la carte géologique au 1 / 50 000e commente ainsi : " le retrait (des glaciers rissiens) a probablement été continu sur le territoire de cette feuille car ils n'ont laissé... aucune forme frontale ". Nous vous invitons à visiter la page correspondante sur le lobe terminal du glacier rissen de l'Isère, comparaison avec les glaciers d'Alaska, d'Islande et du Spitzberg, où vous pourrez trouver quelques images étonnantes de ces glaciers nordiques. ConclusionDe ce qui précède, il nous semble possible de conclure que la formule de Nye-Lliboutry rend correctement compte de l'altitude de surface du glacier würmien de l'Isère, dans la basse vallée de l'Isère. Cette conclusion rejoint et conforte celle que l'on peut tirer de l'étude du glacier de l'Isère en amont de Grenoble. Des problèmes subsistent lorsque l'on considère l'extension du glacier rissien dans la basse Isère. |
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Mise à jour le Dimanche, 22 Février 2015 11:31 |