L'érosion karstique et les clapiers Imprimer
Écrit par Claude Beaudevin   
Lundi, 07 Juin 2010 19:29

Version du 2 juin 2018


 

Rappel de la définition des clapiers d'origine glaciaire

Les clapiers peuvent être classés en différentes catégories :

      • certains sont d'origine anthropique, nous les avons appelés « clapiers paysans »,

      • d'autres sont composés de pierres de compositions minéralogiques variées.

Un premier tri éliminant ces deux types de clapiers, ne laisse subsister que ceux dus à l'action des cycles gel/dégel sur des blocs de plus grandes dimensions, les clapiers de gélifraction.

Les lignes qui suivent, consacrées aux clapiers de gélifraction, peuvent s'appliquer également à des rochers isolés. Nous en verrons un exemple particulièrement probant à la fin de cette page.

Mais quelle était l'origine de ces blocs initialement de grandes dimensions ? Pour que ces clapiers puissent être utilisés dans l'étude des glaciers, il faut procéder à un deuxième tri, qui éliminera ceux d'entre eux non mis en place par les glaciers, tels ceux tombés de falaises surplombantes ou encore ceux apportés par des écoulements d'eau après la disparition de glaciers. Nous avons considéré que le résultat de ce double tri ne laissait subsister que les clapiers provenant de la gélifraction de blocs erratiques transportés à la surface de glaciers, puis déposés sur le terrain lors de la fonte de la glace.

Les clapiers d'origine glaciaire peuvent être utilisés comme sites témoins permettant de déterminer l'altitude atteinte par les glaciers, à condition que l'on puisse expliquer le fait que leurs caractéristiques n'ont pas été modifiées par les érosions postérieures à leur formation, en particulier par l'érosion karstique.

Tout au long de notre étude, nous avons été amenés à utiliser un certain nombre de repères, créés lors des dernières glaciations et identifiables dans les paysages actuels, que nous avons appelé « sites témoins ». Ceux-ci nous ont permis de déterminer l'altitude atteinte par les glaciers dans de nombreuses vallées, situées essentiellement dans les Alpes dauphinoises et les Alpes du Sud. Parmi ces sites témoins figurent en bonne place les clapiers d'origine glaciaire, dont certains datent du pléniglaciaire ou du début du cataglaciaire du Mindel ; leur formation remonte donc au stade isotopique 8, c'est-à-dire à 250 000 ans environ avant nos jours.

Encore faut-il expliquer comment ces clapiers, composés de roches calcaires sensibles à l'érosion karstique, le plus souvent de calcaires urgoniens, ont pu résister aussi longtemps à son action.

Résistance des clapiers aux atteintes du climat

Pourquoi l'érosion karstique, capable de créer des reliefs caractéristiques sur de vastes étendues de roches, par exemple sur les sites bien connus du Désert de Platé (Haute-Savoie), de l'Oucane de Chabrières (Hautes-Alpes) ou encore de la Pierre Saint-Martin (Pyrénées-Atlantiques), ne s'est-elle pas, ou très peu, exercée sur les clapiers, situés pourtant dans un environnement semblable ?

Ce fait, en apparence paradoxal, nous semble résulter tout naturellement des facteurs indispensables pour qu'une érosion karstique puisse prendre naissance, tels qu'ils ont été résumés par Jean-Jacques Delannoy, dans sa thèse de Doctorat d'État (1981) :

« Le Vercors septentrional se caractérise par une activité importante de la corrosion (entre 120 et 170 millimètres par millénaire). Elle est particulièrement due :

        • à la quantité d'eau tombée sur le massif, qui est de l'ordre de 1600 mm à 1000 m d'altitude.

        • à la basse température des eaux qui est fonction de la température moyenne annuelle peu élevée (6° 4) qui règne sur le massif et de l'épais manteau neigeux qui fournit des eaux de fonte froide.

        • à une importante production de CO2 par des sols bien fournis en débris organiques. »

Certains auteurs ajoutent un autre facteur favorisant l'érosion karstique : un long temps de contact des eaux avec la roche.

On peut penser qu'au cours des quelque 20 000 ans écoulés depuis la fin du Würm, une érosion de 120 à 170 mm par millénaire aurait dû faire disparaître complètement les clapiers, de dimensions d'ordre métrique. Et à plus forte raison donc depuis la fin du Mindel ! Mais il convient tout d'abord de rappeler que les valeurs de corrosion ci-dessus résultent de mesures effectuées dans les conditions climatiques actuelles, alors qu'auparavant, les climats étaient beaucoup plus froids. En effet, la majeure partie du temps écoulé depuis la fin du pléniglaciaire du Mindel, il y a environ 250 000 ans, s'est déroulée sous des climats froids, en particulier pendant les stades isotopiques 2, 4 et 6.

Mais surtout nous pensons que l'érosion procède de manières très différentes sur les étendues rocheuses de grandes dimensions et sur les clapiers ou les rochers isolés, structures beaucoup plus petites. Voici quelle doit être, selon nous, l'action sur ces deux types de reliefs, des facteurs énumérés ci-dessus favorables à l'érosion karstique

  • Pendant les périodes froides et très froides, les précipitations ont lieu en montagne sous forme de neige. Celle-ci, qui n'entraîne pas par elle même une érosion karstique, s'accumule dans des zones de pente modérée. C'est le cas par exemple du Désert de Platé (Haute-Savoie) et de l'Oucane de Chabrières (Hautes-Alpes), où la pente du terrain est inférieure à 24 % et également de la Pierre Saint-Martin, près du Pic d'Anie, où elle s'abaisse jusqu'à 1%. Cette neige ne sera pas emportée par les avalanches et se transformera sur place en névés qui ne fondront, lentement, que lors du réchauffement du climat.

  • Au contraire, sur un clapier ou un rocher isolé, menus éléments du relief en saillie sur les terrains avoisinants, une partie de la neige déposée est emportée par le vent et va se déposer dans des zones plus calmes. Ce n'est qu'au cours des périodes de réchauffement qui se sont produites pendant ces 250 000 ans à la fin des stades 2, 4 et 6, mais aussi, nous semble-t-il, au cours de courtes périodes de réchauffement qui ont certainement dues se produire au cours des stades froids, comme il en a existé au cours du Würm, que la neige a disparu du sol.

La faible quantité de neige restée sur les clapiers n'a pu exercer, lors de sa fonte, qu'une érosion karstique peu marquée sur les éléments rocheux constituant les clapiers. A contrario, les névés qui recouvraient les lapiés fondaient lentement, produisant une grande quantité d'eau, qui exerçait une érosion karstique très importante. La température ne constitue pas, quant à elle, un facteur discriminant entre les grandes étendues de roches et les clapiers, car, dans les deux cas, il s'agit toujours d'eaux de fusion à près de 0°.

Par contre, la teneur en gaz carbonique était différente : les sols qui, au cours des périodes de réchauffement, recouvraient les terrains rocheux constituaient des biotopes propices à la vie. Les eaux se chargeaient donc de gaz carbonique, d'ou une forte érosion sur le plancher de calcaire sous-jacent. Ce n'était pas le cas pour les clapiers ni les rochers isolés, non couverts de végétation. De nos jours, les clapiers sont très souvent entourés, masqués même parfois à la vue, par des arbustes ou des arbres, qui plongent leurs racines dans le sol à l'extérieur du clapier. Le rôle du sol paraît se limiter à entretenir une humidité bénéfique à la végétation.

Enfin, le temps de contact des eaux avec la roche était sans commune mesure entre les grandes surfaces de roches et les clapiers ou les rochers isolés : les eaux s'écoulant sur les grandes surfaces disposaient de beaucoup de temps pour se charger en carbonates, au contraire des clapiers où le temps de contact avec les éléments rocheux constitutifs était très faible.

Nous présentons dans une page distincte quelques exemples de résistance à l'érosion karstique.

Ces considérations concernant les clapiers ne s'appliquent pas aux moraines, car celles-ci, présentant une granulométrie continue, sont étanches et non poreuses.

Conclusion

En conclusion, nous pensons que l'absence de tous les  facteurs énumérés ci-dessus, indispensables pour que se forme une érosion karstique, assure  aux clapiers une bonne résistance à celle-ci. Comme l'a dit La Fontaine dans sa fable Le combat des rats et des belettes,

Les petits, en toute affaire,

Esquivent fort aisément.

Les grands ne le peuvent faire.

Dans certains massifs, tel le Vercorsles clapiers d'origine glaciaire sont particulièrement nombreux. Du fait de leur grand nombre, ils permettent une détermination très fine du tracé des anciens glaciers, bien supérieure à ce que l'on peut obtenir en utilisant uniquement les autres sites témoins, tels les sommets d'épaulement, beaucoup moins nombreux.

Cette résistance aux atteintes du climat permet donc d'utiliser les clapiers comme des sites témoins de valeur dans la détermination de l'altitude atteinte par les anciens glaciers. Les altitudes ainsi déterminées recoupent d'ailleurs parfaitement celles obtenues par utilisation des sites témoins d'autres types, tels que les sommets d'épaulement ou encore les prairies, révélatrice de la présence d'argile d'origine glaciaire.

Elle permet enfin d'expliquer la présence, sur certains sommets, de roches exotiques, non originaires des terrains sous-jacents et non dominés par des falaises desquelles elles pourraient provenir.

Mais on notera que les considérations ci-dessus, concernant l'érosion karstique, s'appliquent pleinement, selon nous, aux clapiers créés pendant la glaciation maximum, celle du Mindel, mais moins à ceux créés au cours des suivantes, Riss et Würm, de plus courtes durées et pendant lesquelles les conditions climatiques étaient moins austères.

On rencontre donc parfois, dans les dépôts datant de ces glaciations, des blocs réduits à l'état de galets par l'érosion karstique.


Mise à jour le Mercredi, 09 Août 2023 15:26