Les terrasses de kame Imprimer
Écrit par Bruno Pisano   
Dimanche, 23 Septembre 2012 17:38


Nous allons présenter ici un élément fréquemment représenté dans nos paysages alpins et qui a été laissé par les glaciers lors de leurs lentes phases de retrait : les terrasses de kame.

Définition : « un kame est une formation fluvio-glaciaire qui se présente sous la forme d'une colline irrégulière et composée de sables et de graviers. Les kames sont formés par des sédiments qui se déposent dans une dépression à la surface d'un glacier en phase de retrait, et qui se retrouvent sur le sol à la suite de la fusion complète du glacier. »

Par extension, « terrasse de kame » est un terme géologique désignant une surface (ou terrasse) qui s'est formée le long d'une ancienne marge glaciaire et qui s'est développée suite au dépôt de sables, de graviers et de limons par des ruisseaux qui coulaient le long de la lisière du glacier.

Lors du retrait et de la fonte du glacier, il pouvait y avoir un espace entre la glace qui fondait et un versant de la vallée (qui était alors libre de glace), espace où les eaux glaciaires s'écoulaient. Si la pente longitudinale de cet espace n'était pas trop forte, sédiments, sable et gravier s'y sont lentement accumulés, générant une surface relativement plane ou légèrement en pente, et surélevée par rapport au niveau du sol où se trouvait la base du glacier. La lente accumulation sédimentaire et la fonte du glacier ont laissé derrière elles ces vestiges : les terrasses de kame.

Cette forme du paysage, surélevée par rapport au sol environnant, est un endroit qui a souvent eu la faveur des hommes pour s'y établir. Quelques exemples dans la vallée de la Durance :

  • La ville d'Embrun, dans les Hautes-Alpes, établie sur une terrasse qui surplombe la vallée de la Durance d'une hauteur de 80 m,

La terrasse d'Embrun dans les Hautes-Alpes

Photo Bruno Pisano
 
  • Plus en amont, le début de la terrasse de Châteauroux sur laquelle s'est établi le village du même nom,

Le début de la terrasse de Châteauroux dans les Hautes-Alpes
Photo Bruno Pisano
 
  • Encore plus en amont, la place forte de Montdauphin, construite à partir de 1693 par Vauban sur une terrasse qui s'est formée à la confluence des glaciers de la Durance et du Guil. Ce lieu surélevé était idéal pour contrôler le nœud stratégique de ces vallées alpines. Plus à l'est sur cette même terrasse, aujourd'hui coupée en deux par le cours actuel du Guil - faille à droite de la photo - est construite la ville de Guillestre.
La terrasse de Montdauphin dans les Hautes-Alpes
Photo Bruno Pisano

Parfois, ces terrasses glaciaires se superposent et permettent ainsi de retracer les différents stades d'avancée et de recul des glaciers.

Un exemple nous aidera à mieux comprendre la formation de ces résidus glaciaires.

Un cas d'école : la terrasse de Châteauroux à Embrun

Ainsi que nous l'avons précisé, la vallée de la Durance est riche en terrasses alluviales. Nous nous intéressons ici à « la » terrasse de Châteauroux (Hautes-Alpes). Celle-ci est la continuation, vers l'amont, de la terrasse sur laquelle est construite la ville d'Embrun.

Formation de la terrasse

Au maximum du Würm, le glacier de la Durance atteignait au droit d'Embrun une épaisseur de l'ordre de 1000 m, sa surface se situant à 1800 m d'altitude environ (voir la page sur l'altitude du glacier de la Durance). Vers la fin de cette glaciation, ombre de lui-même, il n'atteignait plus, à cet endroit, qu'une épaisseur de 100 à 150 m.

Le glacier devait se situer au centre de la vallée. Toutefois, la présence de la terrasse de kame n'est attestée que sur la rive droite de la vallée. La rive gauche ne comporte aucune trace de tels sédiments.

L'explication peut être la suivante :

    • Le versant rive droite de la Durance, exposé à l'adret, était moins susceptible de retenir neiges et glaces. D'où le dégagement d'un espace relativement libre de glace.

    • Mais, surtout, débouchaient en rive gauche de la Durance deux glaciers affluents :

      1. un premier, en amont de Châteauroux, amenait les glaces du cirque de Valbelle,

      2. le second, en amont d'Embrun, y ajoutait celles du massif du Parpaillon par la vallée de Crévoux.

Ces deux glaciers avaient pour effet de repousser en rive droite les eaux de fonte, comme nous l'avons expliqué à la page sur les versants d'érosion glaciaires. De ce fait, le volume des eaux glaciaires en rive droite y devenait plus important.

Avec une pente longitudinale relativement faible, ces eaux ont pu s'écouler en déposant les matériaux (cailloux, graviers, sables, limons) qu'elles transportaient. Lentement, au fil du temps, de l'amont de Châteauroux (chapelle St James) à l'aval d'Embrun, ces matériaux se sont accumulés sur une épaisseur de plusieurs dizaines de mètres (la hauteur de la falaise d'Embrun est aujourd'hui d'environ 80 m).

« La » terrasse de Châteauroux

 

Revenons à Châteauroux et à « sa » terrasse qui s'étend de l'aval du village jusqu'à l'amont de celui-ci, barrant le débouché de la vallée du Rabioux, affluent de la Durance. Le torrent du Rabioux a d'ailleurs déposé, au sortir de sa vallée, un cône de déjection qui recouvre une partie de « la » terrasse.

Croquis de la terrasse de Châteauroux (Hautes-Alpes)
Croquis 1 (fourni par René Lhénaff)

En aval du village, « la » terrasse se subdivise en deux terrasses parallèles, d'altitudes différentes, légèrement décalées le long de l'axe de la vallée (d'où les guillemets de « la » terrasse qui, en fait, n'est pas unique). Il existe en effet :

      • une terrasse supérieure dont le rebord a été érodé et régularisé,

Une baume dans la terrasse supérieure de Châteauroux

Photo Bruno Pisano

Une « baume » dans le bord émoussé de la terrasse supérieure en amont de Châteauroux.

  • une terrasse inférieure dont le rebord est, encore aujourd'hui, escarpé.

Le rebord escarpé de la terrasse inférieure de Châteauroux

Photo Bruno Pisano

En aval de Châteauroux, le rebord escarpé de la terrasse inférieure, creusé par une grande « baume ».

Ces deux terrasses se sont chacune formées lors de positions différentes du glacier donc à des époques différentes. 

Par ailleurs, la surface « des » terrasses comporte des résidus glaciaires comme des blocs erratiques, parfois assez imposants, ainsi que quelques résidus morainiques. Un glacier a donc, à une certaine période, recouvert cette terrasse préalablement constituée.

Une roche erratique sur la terrasse de Châteauroux (en arrière-plan : Roche Rousse). Le personnage donne l'échelle.

Bloc erratique sur la terrasse de Châteauroux (Hautes-Alpes)

Photo Bruno Pisano
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Composition de « la » terrasse

Elle est composée d'un cailloutis de galets émoussés variés, résultat d'une accumulation fluviatile durant la dernière glaciation : le Würm. Les cailloux roulés par les eaux glaciaires ont été déposés conjointement à des matériaux plus légers.

Les litages successifs sont clairement visibles sur les parois de « la » terrasse :

Litages dans le flanc de la terrasse supérieure de Châteauroux

Photo Bruno Pisano

Les eaux glaciaires s'écoulaient parallèlement au glacier et percolaient en cimentant le cailloutis sous-jacent. Ces eaux de fonte glaciaires, chargées en CO2, plus les eaux de fonte nivales, encore plus chargées, dissolvaient les calcaires en formant des carbonates. Ayant pénétré le sol, le niveau de ces eaux pouvait varier suivant le volume des eaux circulant en surface (fonte plus ou moins importante, sècheresse). La topographie onduleuse du lit d'écoulement, formée de chenaux anastomosés, pouvaient aussi engendrer des « mouilles » où s'accumulaient les éléments plus légers.

Formation de « la » terrasse de Châteauroux

Au pléniglaciaire würmien, le glacier de la Durance occupe la totalité de la vallée sur une épaisseur de plusieurs centaines de mètres. Puis, les étapes de la formation semblent être les suivantes :

  1. lors d'une phase de retrait du Würm, le glacier de la Durance a largement dégagé la vallée à la hauteur du futur emplacement de Châteauroux.

    Pour les raisons que nous avons indiqué plus haut, les eaux glaciaires s'écoulent rive droite de l'actuelle vallée de la Durance, le long du flanc du glacier. Le stationnement prolongé de ce dernier en cette position permet l'établissement d'une première terrasse. Son rebord est escarpé car délimité par l'érosion latérale des glaces de l'appareil durancien :

    Terrasse de Châteauroux (phase 1)
    Représentation Bruno Pisano
    Ce croquis et les suivants ont été établis à partir des croquis de René Lhénaff
    et suivant la coupe AA du croquis présenté plus haut
  2. Une recrudescence glaciaire amène le glacier à surmonter et envahir la terrasse.

  3. Son extension sur celle-ci est marquée par un dépôt morainique proche de la limite droite de la terrasse. Les eaux de fonte glaciaires sont repoussées en dehors de la terrasse dont le rebord commence à être érodé par les glaces qui le recouvrent :

    Terrasse de Châteauroux (phase 2)
    Représentation Bruno Pisano
  4. Puis le glacier retraite à nouveau.

  5. Son stationnement prolongé sur la terrasse est attesté par un second résidu morainique et diverses roches erratiques. Les eaux glaciaires s'écoulent à nouveau sur la partie de terrasse dégagée par les glaces. Le rebord de la terrasse continue d'être érodé par les glaces qui le recouvrent :

    Terrasse de Châteauroux (phase 3)
    Représentation Bruno Pisano

    Résidus morainiques sur la terrasse de Châteauroux

    Photo Bruno Pisano

    Les 2 résidus morainiques présents sur la terrasse.

    (vue prise dans le sens d'écoulement de la Durance vers le SSW)

  6. Lors d'un nouvel épisode de réchauffement, le glacier se retrouve confiné dans le creux de la vallée.

  7. Son épaisseur ne lui permet plus d'atteindre la première terrasse en rive droite. Les eaux glaciaires s'écoulent entre la base de cette dernière et le glacier.

    Une nouvelle terrasse s'établit à ce niveau, grâce aussi au stationnement prolongé du glacier en cette position. Le rebord est escarpé car délimité par l'érosion latérale des éléments du glacier durancien :

    Terrasse de Châteauroux (phase 4)

    Représentation Bruno Pisano

  8. Le glacier se retire ensuite complètement pour laisser la configuration de vallée actuelle :

  9. Terrasse de Châteauroux (phase actuelle)
    Vue vers le NNE. Croquis 2 (fourni par René Lhénaff)

En résumé

La formation des terrasses de kame est due à :

      • un écoulement d'eaux glaciaires sur un flanc latéral du glacier,

      • où a pu se dégager un espace plus ou moins large, libre de glace,

      • et de pente relativement faible permettant aux eaux de déposer leurs matériaux de charriage (cailloux, graviers, sable, limon).

En dernier lieu, la durée d'écoulement de ces eaux, le volume des sédiments déposés et la puissance de l'érosion postglaciaire détermineront la hauteur de la terrasse résiduelle.

 

Pour plus de précision sur ces types de dépôts, vous pouvez lire la page sur les Formes de relief des dépôts quaternaires de Maurice Gidon

et, plus spécifiquement le paragraphe sur les terrasses fluviatiles.
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Mise à jour le Jeudi, 10 Novembre 2016 10:16