Les ravinements non dus à un glacier de vallée Imprimer
Écrit par Claude Beaudevin   
Jeudi, 09 Août 2012 21:27

Certains ravinements ne sont pas imputables à l'action d'un glacier de vallée. Ils se situent en effet à une altitude plus grande que celle atteinte par celui-ci, même lors de la Glaciation Maximum, celle du Mindel.Un examen détaillé du relief, tant sur les cartes qu'à l'aide des logiciels géographiques tel que Geoportail ou Google Earth, permet cependant dans la plupart des cas, tout au moins dans les régions que nous avons étudiées, de constater qu'ils ont, eux aussi, une origine glaciaire.

Nous avons pu déterminer deux modalités d'action des glaciers, aboutissant toutes deux à la création de tels ravinements situés au-dessus du glacier de vallée :

  1. Nous avons nommé la première par débordement, c'est-à-dire par sortie d'une partie des glaces d'un glacier en dehors de son auge,

  2. La deuxième par chute de glaces provenant d'une calotte glaciaire locale, d'une coupole.

Érosion d'un versant par débordement

Lorsqu'un glacier affluent d'un glacier de vallée conflue avec lui, leurs surfaces glaciaires sont au même niveau. Dans le cas que nous décrivons ici, en amont de cette confluence avec le glacier de vallée, le glacier affluent se décharge d'une partie de ses glaces supérieures, qui rejoignent le glacier de vallée en franchissant l'arête qui les sépare, accompagnées, selon le climat, d'avalanches de neige et d'écoulements d'eaux glaciaires superficielles.

Dans ce cas, plus fréquent qu'on ne pourrait le penser à première vue, quel peut être l'effet sur le relief ?

Le cas du Cuchon

Le Cuchon, sommet situé sur la rive droite du Drac, prés de Saint Bonnet en Champsaur (Hautes-Alpes), va nous fournir un bon exemple d'une telle érosion. Son altitude est de 2375 m et les coordonnées de son sommet sont 6°06"54 E 44°43"40 N.

Son versant sud, qui domine Les Infournas, présente de nombreux ravinements, de différentes formes et dimensions, que nous pensons être en majeure partie d'origine glaciaire.

Le long de la rive droite du Drac, à proximité du Cuchon, la surface du glacier de vallée lors de la Glaciation Maximum s'établissait aux alentours de 1950 m. Par ailleurs le Cuchon lui-même n'a jamais porté de glacier, étant donné sa forte pente. L'altitude des plus élevés de ces ravinements dépasse celle de la surface du glacier de vallée du Drac. Il ne s'agit donc pas d'un versant d'érosion glaciaire tel que nous l'avons défini. On notera que, dans la zone étudiée ici, les terrains sont très variés, allant de gneiss et de micaschistes à des grès volcano-détritiques (Grès du Champsaur), sans que cela influe sur la forme et l'altitude des ravinements.

Comment ces ravinements, qui couvrent une bonne partie de la face sud jusqu'au sommet, à 2375 m d'altitude, pourraient-ils avoir une origine glaciaire ? Remarquons tout d'abord que, derrière l'arête sommitale qui nous la cache, la vallée de la Séveraisette était parcourue par un important glacier, descendu du Vieux Chaillol (altitude 3163m).

Pour tenter d'expliquer la formation de ces ravinements, décomposons tout d'abord le versant en plusieurs zones.

Regardons tout d'abord la zone D. C'est la plus caractéristique de cette face du Cuchon. Elle se situe sous un seuil glaciaire particulièrement remarquable, car long de 1900 m, qui culmine aux environs de 2210 m, à plus ou moins 50 m. Les glaces qui franchissaient ce seuil provenaient de débordements du glacier situé derrière l'arête du Cuchon, celui de la Séveraisette. Deux épaulements x et y situés de part et d'autre du seuil, à l'altitude de 2220 et 2260 m nous montrent que la surface de glace culminait ici aux environs de 2290 m. Le seuil était donc franchi, au pléniglaciaire de la Glaciation Maximum, par une tranche de glace épaisse d'une centaine de mètres et c'est la chute des séracs qui la composait, ainsi que celle des avalanches de neige et des eaux de fusion, qui ont buriné dans la zone E les nombreux ravinements.

 

La carte au 1/25 000 montre que ces ravinements s'arrêtent tous légèrement au-dessus de la courbe 1900 m que nous avons soulignée.

Cette face sud du Cuchon voyait passer le glacier dracquois, qui s'élevait ici, nous l'avons dit, à 1950 m environ. Il interceptait alors les chutes de glace, les avalanches de neige et les eaux de fusion provenant du glacier qui franchissait le seuil et, surtout, il empêchait leur action d'érosion de s'exercer plus bas.

A l'est du Cuchon, le glacier de la Séveraisette confluait avec celui du Drac quelques dizaines de mètres au-dessus du sommet de l'épaulement du Thunou, soit à l'altitude de 1960 m, à l'extrème gauche de la photo. Sa pente était supérieure à celle du glacier du Drac, car la largeur de sa vallée était très inférieure à celle de la vallée du Drac. Un calcul approché basé sur les résultats obtenus à la page sur le tracé théorique de la surface d'une masse de glace en écoulement montre que, au pléniglaciaire de la Glaciation Maximum, il atteignait et dépassait même quelque peu le sommet du Cuchon, à 2375 m. Il y a d'ailleurs, quelques mètres de part et d'autre du sommet du Cuchon, sur les arêtes est et ouest, deux épaulements dont les sommets se situent à 2350 m.

Ceci est confirmé par l'examen du Pic Queyrel, situé plus en amont sur ce glacier et dont la face sud porte également un versant d'érosion. Ses ravinements, ici aussi, ne descendent pas plus bas que 1950 m. À l'ouest de ce pic, à 2240 m, le col du Viallet a été franchi par plus de 160 m d'épaisseur de glace. A ce col du Viallet, un entonnoir très marqué, qui s'ouvre versant sud, en atteste. Sa largeur au sommet est de l'ordre de 400 m et il se termine en pointe vers 1880 m.

Revenons au Cuchon, où la zone B a sans doute été moins franchie ; peut-être, aussi, le rocher y était-il plus résistant à l'érosion. On note toutefois, grâce à la version 3D de Geoportail, l'existence de sillons rocheux sur la crête - signe de passage d'eaux glaciaires - qui se prolongent par une ravine.

 

Progressivement, en allant de l'ouest à l'est, l'ampleur des ravinements augmente, jusqu'à atteindre la zone D.

 

Le sommet d'épaulement du Thunou, à 1910 m, nous confirme que l'altitude de surface du Glacier du Maximum était bien de 1960 m environ (1910 + 50 m). La zone A, qui concerne toute la partie ouest de la montagne en dessous de l'altitude de 1960 m était donc, au pléniglaciaire de cette glaciation, noyée sous les glaces. Les ravinements qu'elle présente, étant donné leur situation en bas de la pente, nous semblent donc imputables à l'érosion régressive postglaciaire. Il en est de même pour la zone C, où les ravinements peuvent avoir été initiés à partir de la zone B.

Nous rentrons donc bien ici dans le cas de ravinement créé par le débordement d'un glacier, en l'occurrence celui du Vieux Chaillol.

Érosion de versant par chutes de glaces provenant d'une calotte glaciaire locale, d'une coupole

La deuxième modalité d'action créatrice de ravinements, assez proche de la précédente, est celle par chutes de glaces provenant d'une calotte glaciaire locale, encore appelée coupole. On peut donner deux exemples d'une telle érosion.

Le Grand Serre (Isère)

En premier lieu, voici le versant d'érosion particulièrement impressionnant qui affecte la face nord-est du Grand Serre, au-dessus de la station de ski de l'Alpe du Grand Serre (Isère).

Cette érosion culmine au sommet même de la montagne, à 2141 m d'altitude, alors que le glacier de vallée qui baignait cette face ne dépassait pas 1950 m. Il ne s'agit donc pas d'un versant d'érosion glaciaire dû à l'action du glacier de vallée, mais d'une juxtaposition de ravinements. Or il n'existait pas de glacier important derrière la crête sommitale ; nous n'avons donc pas affaire à une création par débordement stricto sensu.

Mais le relevé des sites témoins voisins du Grand Serre montre que les pentes douces proches du sommet accueillaient, au pléniglaciaire de la Glaciation Maximum, une coupole de glace. Ce sont les glaces du versant nord-est de celle-ci, représentée sur la photo ci-dessus, tombant sous forme de séracs, ainsi que les avalanches de neige et les eaux de fonte associées, qui selon nous, ont initié la formation de ces ravinements.

Citons enfin, dans la région de Grenoble, la face nord du Grand Colon, dont le versant d'érosion prend naissance à 2351 m, 500 m au-dessus du glacier de vallée de l'Isère (coordonnées : 5°55'38 E 45°09'51 N).

Ravinements actuels

De nos jours, voici le Mont Sanford (Alaska), qui nous permet de voir une coupole glaciaire « en activité ». On remarquera les ravinements créés par les chutes de séracs et d'avalanches de neige, à l'échelle du pays, c'est-à-dire de plus de 1000 m de hauteur.

Image GoogleEarth
(Si Google Earth n'est pas installé sur votre poste,
suivez la procédure indiquée ici)

Ce sommet (coordonnées : 62°12'50.00" N, 144° 7'44.00" O) de près de 5000 m est recouvert d'une coupole de glace dont les glaces s'évacuent en majeure partie par de gigantesques cascades de glace, aux dimensions quasiment himalayennes. Ces chutes de glace donnent naissance à des glaciers régénérés. Seule une visualisation en relief peut rendre compte de ce colosse, c'est ce que nous vous proposons ci-dessous, à l'aide de Google Earth.

 

Un autre exemple actuel, également vu par Google Earth

Conclusions

L'examen de ces divers exemples de ravinements nous amène à quelques conclusions intéressantes :

      • Ces ravinements ont pu, après leur création, traverser les millénaires, car ils ont été conservés, sous forme de pergélisol, lors des longues périodes froides qui ont suivi la Glaciation Maximum. Ce n'est que pendant les rares intervalles tempérés similaires à celui que nous connaissons actuellement que l'érosion postglaciaire a pu s'exercer, par les eaux météoriques, en particulier sous sa forme régressive, sans toutefois modifier sensiblement leur aspect.

      • Puis, l'étude du Cuchon nous a montré l'existence d'une modalité de création de ravinements par débordement d'un glacier.

      • Celle du Grand Serre, que l'existence d'une coupole glaciaire pouvait amener à des résultats comparables.

      • Enfin, nous avons pu voir sur le Grand Serre que, pendant le pléniglaciaire de la Glaciation Maximum ou peu après celui-ci, il existait des écoulements d'eaux glaciaires à 2200 m d'altitude à proximité de la surface du glacier.

      • Mais il y a plus, car cette étude confirme le fait, déjà signalé par ailleurs, que les ravinements sont très souvent dus à l'action des glaciations, même anciennes. Nous rencontrerons par la suite d'autres exemples de ravinements, dûs à des débordements de glaciers ou à des chutes de séracs d'une calotte ou d'une coupole, qui viendront s'ajouter à ceux de cette page.

 

Pour les généralités sur les ravinements d'origine glaciaire...

 

Pour en savoir plus sur :

 

Quant à la page du sceptique, c'est ici !

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Mise à jour le Dimanche, 14 Décembre 2014 10:40