La Lagouna Imprimer
Écrit par Claude Beaudevin   
Samedi, 27 Août 2011 14:10
Version 130 du 23 août 2011

Une application de la méthode des sites témoins

Rive droite de la Roya (Alpes-Maritimes), en face du village perché de Saorge, une arête descend de la Cime de Colla Bassa (1417 m) dans la direction du talweg. Cette arête présente un épaulement, du type « à pommeau », dont le sommet cote 1100 m et le pommeau 1121 m. C'est cette valeur de 1121 m que nous avons pris comme altitude caractéristique de cet épaulement, qui porte un relief tout à fait remarquable et au nom révélateur : la Lagouna. Ses coordonnées sont : 43° 59' 03 N, 7° 31' 24 E.

Situation de la Lagouna dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes)

Il s'agit d'une dépression, située exactement sur l'épaulement, profonde d'une vingtaine de mètres et qui mesure à peu près un hectare. Cette dépression est limitée :

  • à l'amont par l'arête de la cime de Cime de Colla Bassa (sommet d'épaulement à 1100 m), du coté opposé par le pommeau de l'épaulement, qui s'élève à 1121 m,

  • et sur les deux autres côtés, au nord-est et au sud-ouest, par deux levées de terrain, hautes chacune d'une vingtaine de mètres.

La Lagouna dans les Alpes-Maritimes

Selon le site Infoterre du BRGM :

  • en rouge : éboulis fixés, généralement anciens, localement à gros éléments,

  • en vert : levées de terrain, alluvions anciennes non différenciées.

 
La photo suivante, prise depuis la levée de terrain sud-ouest, montre, au-delà de la Lagouna, la levée de terrain nord-est. On voit la prairie qui tapisse la dépression. La photo a été prise au mois d'avril, mais, lors de fortes pluies - en particulier l'hiver - la Lagouna se remplit d'eau.
La Lagouna dans les Alpes-Maritimes

On pourrait penser qu'il s'agit là d'une forme de modelé karstique, doline ou poljé. Mais :

  • la nature du terrain (calcaire jurassique) ne s'y prête pas et, d'ailleurs, on ne trouve aucune forme de modelé karstique dans les environs,

  • dolines et poljés se rencontrent surtout dans des zones synclinales ou effondrées par failles, ce qui n'est pas le cas ici,

  • la présence d'une doline ou d'un poljé sur une arête nous semble très improbable.

Par contre, une origine glaciaire nous paraît indiscutable. Au pléniglaciaire de la glaciation maximum, la vallée de la Roya était en effet, à cet endroit, remplie de glace jusqu'à une altitude intermédiaire entre celles de 1219 m au site témoin RO65, en amont de la Lagouna, et celles de 1090 m en RO6 et 1029 m en RO55, en aval (voir la page vallée de la Roya et la carte ci-dessus).

Le glacier de vallée de la Roya donnait alors naissance, sur l'arête descendue de la cime de Colla Bassa, à un épaulement (RO7 à 1021 m), que, toujours au pléniglaciaire, il recouvrait d'une cinquantaine de mètres d'épaisseur de glace. Aucun dépôt ne pouvait donc s'y produire à ce moment. Un peu plus tard, passé le pléniglaciaire et le niveau des glaciers ayant baissé, l'épaulement se trouvait libre de glace. Le glacier de vallée de la Roya pouvait alors y déposer une moraine latérale, de même que les deux glaciers qui l'encadraient, celui de Caïros au nord et celui de la Maglia au sud. Ce sont ces deux dernières moraines qui, selon nous, constituent les deux levées de terrains qui encadrent la Lagouna et lui ont donné naissance.

La nature des terrains, tels que définis sur la carte géologique vectorielle consultable sur le site Infoterre, vient confirmer notre hypothèse. En particulier, les termes utilisés pour décrire le terrain représenté en rouge (Ec = Éboulis : Eboulis fixés généralement anciens, localement à gros éléments) conviennent bien à une moraine déposée lors d'une glaciation ancienne. Ce processus, dans lequel une moraine importante date, non pas du pléniglaciaire, mais d'une phase de retrait, nous l'avons déjà rencontré dans la vallée du Drac, où il est responsable du dépôt de la grande moraine d'Ancelle aussi bien que de celle de Cholonge.

Ensuite, au fil des millénaires, la texture de ces moraines s'est modifiée et aucune roche n'est actuellement plus visible à la surface des levées de terrain. 

L'origine glaciaire de la Lagouna est d'ailleurs corroborée par l'examen d'un site très semblable, bien que d'origine beaucoup plus récente, celui du Jardin de Taléfre.

On voit que l'existence et la situation de la Lagouna constituent une bonne confirmation de la réalité d'une glaciation ancienne, d'altitude bien supérieure à celles atteintes lors du Würm et du Riss.

À ce titre, nous le considérons comme un site probant, c'est-à-dire qu'il constitue une bonne vérification de la validité de notre méthode des sites témoins.

Utilisation du site de la Lagouna pour la datation de la glaciation maximum

Nous avons vu que les éléments en notre possession ne nous permettent pas de dater la glaciation maximum.

Il nous semble possible d'utiliser à cette fin le site de la Lagouna pour tenter de résoudre ce problème. La configuration de la Lagouna nous paraît en effet avoir été très propice à l'apparition d'un lac entre les diverses moraines. Si c'est le cas, des sédiments s'y sont déposés. Ultérieurement, après la disparition des glaciers et le radoucissement du climat, ce lac s'est sans doute transformé en tourbière.

Il nous semble donc qu'un carottage à cet emplacement, suivi d'une étude des sédiments, permettrait peut-être de dater la formation du lac, donc la glaciation maximum, cependant que l'examen des pollens pourrait se révéler également très intéressante.

Il est peut-être possible également d'effectuer dans Ce but une datation par isotopes cosmogéniques sur un des gros blocs de la moraine représentée en rouge ci-dessus.

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Mise à jour le Vendredi, 26 Avril 2013 11:32