Du glacier Hubbard à celui de la Bonne Imprimer
Écrit par Claude Beaudevin   
Jeudi, 07 Avril 2011 17:54
Version 79

Le glacier Hubbard

Le glacier Hubbard (Alaska) est le plus grand des glaciers nord-américains aboutissant dans l'océan. Il s'est épaissi et avancé depuis sa première cartographie en 1895 au contraire de beaucoup d'autres. Plus de détails sur ce comportement surprenant à la page sur les glaciers vêlants. Il présente une particularité qui peut nous aider à comprendre l'importance de l'érosion par les eaux glaciaires et en particulier comment se sont formés les versants d'érosion glaciaire.

 
Croquis du glacier Hubbard

La langue terminale du glacier Hubbard vient parfois barrer le débouché du fjord Russel en s'appuyant sur le promontoire de Gilbert Point (point rouge). Privé de sa communication avec l'océan, le fjord se transforme alors en un lac, le lac Russel.

Puis le niveau du lac s'élève ; les eaux finissent par surmonter le barrage de glace, donnant naissance à une débâcle (glacial outburst), une vidange brutale au cours de laquelle leur débit peut atteindre des valeurs énormes.

La débâcle du lac Russel en août 2002

 
Glacier Hubbard en 2002

En mai 2002, début de fermeture de l'entrée du fjord Russel par la glace et la moraine de poussée du glacier Hubbard, s'approchant de Gilbert Point.

Le 20 mai, l'écoulement des eaux était encore à peu près normal.

 
Glacier Hubbard en 2002

En juin, l'écoulement des eaux avait à peu près cessé et le niveau du lac s'élevait de 0,24 m par jour. La lutte entre l'avancement de la glace et de sa moraine et l'érosion de celle-ci par les eaux...

 
Glacier Hubbard en 2002

... s'est terminée fin juin par la fermeture complète du passage. Le niveau du lac s'était alors élevé de 18,60 m.

Le 12 août, sous l'action conjuguée d'un ralentissement de l'avancée du glacier et de pluies importantes, l'eau a commencé à surmonter le barrage.

 
Glacier Hubbard en 2002

Le barrage de glace et de moraine a alors été emporté en l'espace de quelques heures.

Le débit d'eau a culminé à minuit le 14 août avec une valeur moyenne horaire de 54 000 mètres cubes par seconde. Le niveau du lac s'abaissait alors de 0,9 m par heure.

 
Glacier Hubbard en 2002

Ce versant d'érosion est également visible sur Google Earth

(coordonnées : 59°59'31" N, 139°29'10" O)
(Si Google Earth n'est pas installé sur votre poste,
suivez la procédure indiquée ici)

Le lac a retrouvé son niveau normal au début de l'après-midi du 15 août. La débâcle avait duré 36 heures. Le volume écoulé a été de 3,86 km³... et le lac est redevenu un fjord.

Mais si la glacier reprend son avancement, il obturera l'entrée du fjord Russel et créera le plus grand lac de barrage par un glacier des temps historiques sur le continent nord-américain.

Remarquez sur cette photo la pente soutenue (85 %) du versant d'érosion du promontoire de Gibert Point. Son sommet dépasse de plusieurs dizaines de mètres celui du lac, ce qui montre qu'il a connu jadis des débâcles plus importantes.

Documents extraits du site de l'U.S. Geological Survey.

On sait que le pouvoir érosif d'une rivière ou d'un torrent s'accroît énormément pendant les crues. On peut donc imaginer l'importance de l'érosion entraînée sur les rives lors d'une telle débâcle. Mais un autre point doit retenir notre attention :

    • le pic de débit de 54 000 m³ par seconde est le deuxième plus grand débit de vidange brutale mesuré dans le monde aux temps historiques. Il n'a été dépassé que lors de la débâcle de 1986 du même lac Russel, où il s'est élevé à 105 000 m³ par seconde. Le lac Russel est donc un récidiviste de ce genre de phénomène, d'autant plus qu'une telle débâcle s'était déjà produite en 1860, selon la tradition orale des Indiens du Yakutat. Ceci nous paraît tout à fait normal, les mêmes conditions produisant les mêmes effets, mais nous reviendrons un peu plus bas sur cette constatation.

Toutefois, on peut remarquer que le Hubbard est un glacier "vêlant", c'est-à-dire que sa langue terminale flotte. Que se passerait-il si ce n'était pas le cas ? A peu près la même chose, car plus près de nous, dans les Alpes cette fois, des débâcles analogues se sont produites. Nous leur avons consacré une page sur l'écoulement des lacs glaciaires, sur laquelle nous ne reviendrons ici que pour en citer les conclusions.

Les débâcles du Gietro...

Le Gietro est un glacier valaisan qui, lors de ses crues, vient obturer la vallée de la Dranse. Entre 1806 et 1818, il donna naissance à un lac au fond du Val de Bagnes, lac long de 2 km.

On décida de percer dans la glace une galerie juste au-dessus du niveau du lac, espérant que l'eau, une fois arrivée au niveau de la galerie et s'y écoulant, agrandirait peu à peu celle-ci et que le lac se viderait de lui-même. Les choses se passèrent effectivement ainsi au début, mais après vidange du tiers du volume du lac, la tranchée se creusa rapidement et la masse d'eau sortit avec une telle furie que, dans la demi-heure, le lac fut entièrement vidé. Cette débâcle causa une quarantaine de morts.

Conséquence secondaire probable, selon nous, de cette débâcle, création ou amplification du versant d'érosion situé en face du glacier, les Rochers de Pierre à Vire. Car cette débâcle n'était pas la première connue par ce lac. En 1595 déjà, une précédente avait causé plus d'une centaine de morts dans le Val de Bagnes et jusqu'à Martigny.

... et celles du lac de Märjelen

Egalement en Suisse, mais cette fois sur la rive gauche du célèbre glacier d'Aletsch, à 7 km en aval de la Concordiaplatz, s'embranche la courte vallée de Märjelen. Au cataglaciaire, un lac vint occuper cette vallée, lac de barrage par le glacier d'Aletsch et aujourd'hui réduit à peu de chose. Il offre la particularité de se vider, de temps en temps, subitement et presque complètement.

On rapporte effectivement 38 crues catastrophiques entre 1813 et 1913. En 1892, il se vida de ses 7 millions de mètres cubes en trente heures soit un débit moyen de 70 mètres cubes par seconde. On est loin, bien entendu des débits mesurés au lac Russel, mais, la configuration des lieux est sensiblement la même et il s'agit bien du même phénomène.

En conclusion

La débâcle d'un lac glaciaire, avec ses conséquences désastreuses et ses effets érosifs brutaux apparaît donc comme présentant souvent r un caractère cyclique. Celui-ci, bien entendu, peut résulter de phases successives dans le mouvement du glacier, oscillant entre avancées et reculs. Mais on peut également penser que, tout particulièrement dans le cas des glaciers alpins dont la langue terminale ne flotte pas et repose sur le sol, les cycles peuvent se produire sans mouvement appréciable du front glaciaire, par succession des phases suivantes :

  1. obturation de la vallée par le glacier et formation d'un lac,

  2. montée du niveau de celui-ci,

  3. débordement des eaux au dessus du barrage,

  4. débâcle avec creusement d'un chenal, vidange partielle ou totale du lac. Le glacier se termine alors par une falaise de glace (voir l'exemple du glacier Hubbard ci-dessus),

  5. mais celle-ci ne peut dépasser une certaine hauteur, elle s'écroule et un nouveau cycle débute.

Il en serait sans doute autrement dans le cas d'un glacier vêlant.

On conçoit que la répétition de telles débâcles, génératrices d'érosions intenses, constitue un mode d'érosion glaciaire très important. Mais il y a beaucoup plus spectaculaire encore ! Certaines débâcles ont donné naissance à des écoulements dont le débit dépasse l'imagination, telle celle du lac Missoula (Etat de Washinton, USA), responsable des scablands ou encore celle de l'Altaï (Russie). Nous leur avons consacré uns page spéciale : Les débacles gigantesques.

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Mise à jour le Lundi, 14 Mars 2016 18:28