Le lobe terminal du glacier rissien de l'Isère Imprimer
Écrit par Claude Beaudevin   
Mercredi, 31 Mars 2010 18:05
Version 114

Comparaison avec les glaciers du Spitzberg, d'Alaska et d'Islande

Parvenus dans leurs plaines de piémont, les glaciers de vallée, devenus "glaciers alaskiens", s'étalent souvent en lobes. Voici deux exemples de tels glaciers, sur la côte sud de l'Islande.

Lobe glaciaire dans sa plaine de piémont

 

On admirera la forme parfaitement circulaire du lobe représenté ci-dessous, qui a pu s'étaler librement sur le sandur de sa plaine de piémont. Il y a mieux, peut-être, sur Mars !

Lobe glaciaire sur son sandür

 

Pour déterminer le tracé, au maximum de la glaciation rissienne, du lobe du glacier de l'Isère dans sa plaine de piémont, en particulier dans la Bièvre, il n'est pas possible d'effectuer un calcul théorique, car on s'écarte des hypothèses utilisées dans celui-ci. On ne peut, d'autre part, utiliser comme modèles des glaciers alpins actuels, car aucun d'eux ne présente de lobe terminal assez développé.

Nous nous servirons donc comme termes de comparaison de glaciers septentrionaux actuels de caractéristiques aussi proches que possible de celles du glacier rissien de l'Isère, c'est-à-dire présentant :

  • un lobe glaciaire de très grandes dimensions, ce qui est le point le plus délicat, compte tenu des dimensions gigantesques de celui du glacier rissien de l'Isère,

  • une terminaison du glacier sur la terre ferme et non dans l'océan, de manière à éviter l'influence d'un effet de flottaison, ce qui élimine la plupart des glaciers du Spitzberg.

 

Glacier vêlant au Spitzberg

On voit en effet, sur cette photo d'un glacier du Spitzberg, que, dans ses dernières longueurs, la surface du glacier est très peu inclinée.
 
  • et surtout un confinement du lobe du même ordre de grandeur que celui de l'Isère.

 

Définissons tout d'abord ce que nous entendons par « confinement » d'un lobe glaciaire. Lorsqu'un glacier de vallée parvient en fin de parcours, trois cas peuvent se présenter :

  • Premier cas : Enserré entre les parois de sa vallée, le glacier peut y « mourir », sans former de lobe. Sa surface revêt alors une forme du type de celle repérée 1 sur le graphique ci-contre. Lorsque la vallée est assez large, cette forme est celle que la formule permet de calculer ; lorsque elle est plus étroite, l'allure générale est la même mais les pentes sont plus élevées.

Confinements des lobes glaciaires
  • Deuxième cas : le glacier parvient jusque dans sa plaine de piémont, où il s'étale en lobe, rien ne venant gêner la formation de celui-ci. Nous dirons que ce lobe n'est pas confiné et, dans ce cas, la forme de sa surface, nettement moins pentue que dans le cas précédent, est repérée en 2 sur le graphique

  • Troisième cas : Au sortir de la vallée, des reliefs - ou encore la présence d'un glacier coalescent - dans la plaine de piémont, viennent gêner l'expansion de notre lobe, le confiner. Dans ce cas intermédiaire, la surface prend alors une forme intermédiaire entre les deux précédentes, repérée 3.

Forme des lobes glaciaires

L'angle A que forment les deux parois de la vallée caractérise le confinement : plus cet angle est aigu, plus le lobe est confiné et plus ses pentes seront fortes.

Ces considérations ne sont pas théoriques, c'est l'observation des glaciers septentrionaux qui nous a permis de les formuler, ainsi que nous allons le voir.

Nous nous sommes intéressés aux glaciers suivants :

    En Islande deux glaciers descendant vers la côte sud :

  1. le Skeidararjökull,

  2. le Sidujökull,

  3.  

    Au Spitzberg, deux glaciers sont également intéressants :

  4. l'Eidembreen (feuille B8, coordonnées Est 13° Nord 78° 23'),

  5. le Veteranen (carte au 1/500.000e feuille 3, coordonnées de son front : Est 17° 30' Nord 79° 20'),

  6.  

    A titre d'exemple, le tableau ci-dessous indique l'altitude en mètres de la surface du Veteranen en fonction de la distance à son front (en km), front situé sensiblement à l'altitude 100 m :

     
    Altitude (en m)   100   200   300   400   500   600   700   800   900 1.000
    Distance au front (en km) 0 3,8 5,8 9,5 13 18 24 28,8 33,8 38
     

    Enfin, en Alaska, les immenses glaciers :

  7. Bering,

  8. et Malaspina,

  9. qui nous ont fourni les renseignements les plus intéressants.

Tous ces glaciers appartiennent au type alaskien; leur langue terminale s'étale en lobe, et les moraines frontales sont remplacées par une plaine de dépôts fluvioglaciaires, les sandar. Pour ne pas alourdir cette page, nous n'avons fait figurer que deux cartes détaillées, celles de l'Eidembreen et celle du Bering, sur lesquelles nous avons porté les angles de confinement.

L'Eidembreen (Spitzberg).

 

 

Carte NORSK POLARINSTITUTT OSLO, 1988, feuille B8,
coordonnées Est 13° Nord 78° 23'.
Lobe du glacier Eidembreen au Spitzberg

 

Cote sud de l'Alaska, le glacier Bering (coordonnées : 60°15'31.39"N, 143°26'47.44"O)
Image Google
Le lobe terminal du glacier Bering en Alaska

Voir avec Google Earth

(Si Google Earth n'est pas installé sur votre poste, suivez la procédure indiquée ici)

Quelques glaciers septentrionaux

Examinons maintenant, sur des schémas, la forme des lobes de ces énormes glaciers. Les schémas qui suivent ont été tracés à l'échelle, mais cette échelle diffère de l'un à l'autre.

Le lobe terminal du glacier Skeidararjökull en Islande

Le Skeidararjökull (Islande).

 

Son lobe est peu confiné et ne s'avance que de quelques kilomètres sur son sandur.

 
Le lobe terminal du glacier Sidujökull en Islande

Le Sidujökull, également situé sur la côte sud de l'Islande, pénètre d'une dizaine de kilomètres dans la plaine ; il est confiné sur sa rive gauche, d'où sa forme quelque peu dissymétrique.

 
Le lobe terminal du glacier Eidembreen au Spitzberg

Avec l'Eidembreen, dont nous avons montré ci-dessus une carte détaillée, nous voici au Spitzberg.

Son lobe dépasse de 4 à 5 km dans la plaine, mais ne parvient pas tout à fait jusqu'à l'océan.

 
Le lobe terminal du glacier Veteranen en Islande

Le Veteranen, au lobe très réduit...

Outre le Bering, la côte sud de l'Alaska nous présente le plus intéressant de tous les glaciers septentrionaux, le Malaspina, dans le Parc National du même nom. De curieuses vues du Malaspina sont visibles à la page sur le glacier Malaspina. Ainsi que nous le verrons, ses dimensions sont sensiblement les mêmes que celles de notre glacier rissien de l'Isère.

Le lobe terminal du glacier Malaspina en Alaska

Le Malaspina présente un lobe presque parfait, légèrement plus large que long - si l'on peut dire - du fait de la légère pente du sandur sur lequel il s'avance.

 

Nous avons tracé les courbes représentatives de la surface des lobes terminaux de ces différents glaciers.

Forme des lobes de quelques glaciers septentionaux

On constate que les pentes des lobes sont d'autant plus faibles que leurs angles de confinement sont importants. Le Malaspina, qui n'est pas confiné, est celui qui présente les pentes les plus douces.

A l'exception du Skeidararjökull, tous les glaciers ont des pentes inférieures à celles que l'on peut calculer l'aide de la formule. Ceci est dû, bien entendu, au fait que le confinement est maximum dans le cas d'une vallée aux versants parallèles, mais également peut-être au fait que le « bombé » d'un lobe glaciaire varie avec l'importance du débit : le lobe « gonfle » lors des poussées glaciaires et « s'aplatit » lorsque le débit du glacier diminue. Or les glaciers d'Alaska semblent actuellement se trouver dans une phase de retrait.

 

Dans le cas extrême d'un net recul du glacier, le lobe disparaît et est remplacé par des digitations.

Voir à ce sujet la page sur les digitations où l'on trouvera des photos de langues glaciaires remarquables.

 

La formule, nous l'avons dit, est, par contre, utilisable en régime établi, stable, ce qui est le cas du pléniglaciaire.

En amont du lobe, la pente s'accentue lorsqu'on parvient dans la vallée d'où provient la glace, la courbe représentative ayant alors tendance à rattraper la courbe calculée. Ceci est particulièrement remarquable dans le cas du glacier Malaspina.

Application au glacier rissien de l'Isère

Bien que leurs dimensions soient à peu près les mêmes, le lobe du glacier rissien isérois présentait une différence importante avec celui du Malaspina, qui n'est pas confiné et qui peut se développer sans contrainte à la surface du sandur. Le glacier de l'Isère, par contre, était confiné :

  • au sud par le rebord du Vercors,

  • au nord par le glacier du Rhône.

 

Il ne pouvait donc pas se développer en cercle, mais devait, compte tenu de cet angle de confinement d'une soixantaine de degrés, se contenter d'occuper un secteur circulaire, ainsi que le montre la figure ci-contre :

 

 

Le lobe terminal du glacier de l'Isère

Altitude de la surface du lobe rissien de l'Isère

Le lobe de l'Isère présentant un angle de confinement assez faible, sa surface devait donc s'élever selon une courbe intermédiaire entre celle calculée à l'aide de la formule et celles des lobes du Malaspina et du Bering. De cette courbe, nous connaissons deux points :

  1. le vallum terminal, à la côte 300 m environ, 4 km à l'est de Beaurepaire, tel que le définissent la carte géologique au 1 / 250.000e Lyon et les travaux de Pierre Mandier (voir la page sur la Bièvre Valloire).

  2. la cote du glacier au sortir de la "cluse" de Voreppe, que nous avons estimée à 1.080 mètres au-dessus de Noyarey (ou plus exactement au-dessus d'un point A situé 4 km en amont de Voreppe). (Voir la page sur les diffluences de Montaud).

Nous avons donc tracé sur le graphique ci-dessus une courbe passant par ces deux points, intermédiaire entre celle calculée à l'aide de la formule et celles des lobes du Malaspina et du Bering (courbe en bleu "Isère" estimée). Ceci nous a permis alors de dessiner la carte suivante :

Le lobe du glacier rissien de l'Isère

Le lobe terminal du glacier de l'Isère

Les pointillés .... marquent la limite d'extension vers l'ouest du glacier rissien selon la carte géologique au 1 / 250 000e LYON

On remarquera que l'extension du glacier dans la vallée de l'Isère selon notre étude est très différente de celle qui figure sur la carte géologique au 1/250.000. La réponse se trouve à la page sur la basse vallée de l'Isère.

On trouvera plus de commentaires sur cette région dans les pages :

 

Nous terminerons par une remarque d'intérêt général déjà formulée à la page sur la glaciation responsable du modelé glaciaire :

 

L'étude des formes d'érosion - tout au moins celle des formes majeures (auges, épaulements, sillons rocheux, etc), car les formes mineures (polis, stries, cannelures) sont trop éphémères pour cela - permet d'aller plus loin, dans la distance et dans le temps, que celle des formes de dépôts (moraines, terrasses fluvio-glaciaires, etc.). Celles-ci conservent cependant tout leur intérêt, car elles permettent souvent d'effectuer des datations.

 

Haut de page


Premier cas : Enserré entre les parois de sa vallée, le glacier peut y « mourir », sans former de lobe. Sa surface revêt alors une forme du type de celle repérée 1 sur le graphique ci-contre. Lorsque la vallée est assez large, cette forme est celle que la formule permet de calculer ; lorsque elle est plus étroite, l'allure générale est la même mais les pentes sont plus élevées.
Mise à jour le Dimanche, 12 Août 2012 18:24